Trondes vers Pagny-sur-Meuse
Jour 6
Mardi 6 mai 2008
10 kilomètres
Nous quittons Trondes vers neuf heures en direction de Pagny-sur-Meuse non sans procurer à Henry et à Basile une dose de câlins gracieusement offerte par des vieilles personnes, qui croisent soudainement notre chemin. Si j’ai mis deux années pour avoir la confiance de mes bourricots, pour pouvoir les caresser sans qu’ils ne prennent la fuite, les gestes connaisseurs de ces vieilles personnes me remplissent de joie et d’admiration. Quel plaisir de voir les ânes se laisser faire par un étranger et d’apprécier le non-verbal des vieux dont le visage et les yeux commencent à briller. Sans dire un seul mot, rien qu’en les regardant, ces gens vous racontent toute une histoire. Voici une autre pièce du puzzle du Camino pour laquelle je suis reconnaissant de pouvoir partager des moments de recueillement sans que personne ne dise un mot.
Sur la D101, nous quittons le département de la Meurthe et Moselle pour rentrer dans celui de la Meuse et la D101 devient la D41.
La journée s’annonce de nouveau chaude et, comme d’après la carte, Pagny-sur-Meuse semble être plus grand que les autres villages que nous avons croisés jusqu’ici, nous décidons de ne faire qu’un trajet d’une demi-journée et nous offrir un repos pour le reste du jour, ceci d’autant plus qu’on nous a précisé que « là vous trouvez tout ».
Avant d’arriver à destination, nous apercevons au loin une sorte de carrière d’une dimension époustouflante, que nous identifions un peu plus comme un dépotoir à ciel ouvert.
A hauteur de la marie, nous franchissons la Meuse sur un pont d’un certain charme et nos ânes n’ont aucun problème pour y passer, même si le canal coule en dessous doucement. A défaut de trouver des églises ouvertes et des maisons paroissiales, nous pensons qu’un tampon aux effigies de la commune ferait du bien sur notre Credential. Alors que je veille sur Henry et Basile, Daniel entre dans la mairie pour obtenir le tampon. Pendant ce temps, une femme s’arrête et me propose d’aller voir un certain monsieur dont je ne me rappelle plus le nom - il aurait des ânes et se trouverait à trois kilomètres. « Il se fera probablement un plaisir de vous accueillir. » C’est très gentil mais c’est malheureusement à l’opposé de notre route. Daniel revient avec le Credential tamponné, accompagné de Monsieur le maire et quelques fonctionnaires qui sont tous en train de réfléchir où nous pourrions bien aller pour trouver un pré et passer la nuit prochaine. A cette assemblée sur le parvis de la mairie et les ânes dans une petite rue, se joint encore Madame le facteur sur sa mobilette et, en commun, ils aboutissent à une référence qui pourrait être une piste mais pas forcément - on verra bien.
Forts de toutes ces recommandations, nous nous dirigeons vers un restaurant, le premier depuis Pagny-sur-Moselle, et nous nous renseignons davantage. La propriétaire nous informe qu’elle exploite également un hôtel à cinqs cent mètres en amont, où nous pourrions également manger et laisser brouter les ânes.
Après quelques jours de vie paisible et tranquille à travers les petits villages et bois, nous voilà soudain de retour dans le monde dicté par le stress et une surabondance de poids lourds. Quel choc ! Nous nous trouvons en effet au seul endroit à portée de pied d’âne, pour passer sous un pont la N4 sans risquer de se faire écraser ; si on écarte le danger des camions qui quittent la Nationale et confondent la voie qui mène au rond point avec une extension de la route nationale. Après une bonne vingtaine de minutes et le passage d’une voie ferrée, nous arrivons à l’hôtel. A l’accueil, nous devons probablement laisser une impression de clients dont on ne sait pas trop les classer dans un premier temps, surtout lorsque nous annonçons avoir besoin d’un espace pour laisser brouter les ânes. Un coup de fil interrompt notre demande et toutes les par la suite le portes s’ouvrent toutes seules. A l’autre bout du fil, se trouvait la patronne qui voulait justement se renseigner si nous étions bien arrivés.
Henry et Basile passeront la demi-journée de repos et la nuit attachés à leur longe de six mètres à un arbre, chacun pour soi bien entendu, entre d’une part la face de l’hôtel et de l’autre la Nationale 4 séparée par un treillis métallique, qui ne devrait pas poser un grand obstacle pour un âne en cavale. Désolé les potes, c’est la vie -quoique je m’inquiète quand même un petit peu pour votre sécurité. Plus tard dans la journée, ils auront droit à mes excuses pour ce refuge hors du commun.
Nous optons pour une pension complète à un prix acceptable – repas à midi et le soir, le petit déjeuner et, le plus important après quelques jours de tente, un lit. Après le repas, c’est la douche et un petit repos sur le lit qui se solde néanmoins par un roupillon de deux heures.
Pagny-sur-Meuse est situé sur la rive droite de la Meuse et s’appelait en son temps « Paternicum » c.-à-d. la terre qui vient des ancêtres. Le zoning industriel, en face de l’hôtel dans lequel nous logeons pour une nuit, contribue largement à la vie économique. Depuis la fermeture d’une cimenterie à la fin des années soixante-dix, la population est aujourd’hui de nouveau en légère augmentation.
Ce qui contribue largement au charme de cette ville est certainement la halte fluviale du canal de la Marne au Rhin. Longer cette halte a été un des seuls havres de silence que nous avons rencontré à Pagny.
Lors de notre visite de la ville, nous avons effectivement trouvé des commerces : une petite épicerie dans laquelle nous avons acheté des carottes pour les ânes et en face une boulangerie, où quelques euros ont changé de propriétaire pour des petits gâteaux – après six jours sans boulanger, on peut se permettre une telle gourmandise et en profiter pleinement. Juste pour info : les heures d’ouverture de l’église Saint-Remi de Pagny-sur-Meuse ne coïncident pas avec le passage des pèlerins.
En retournant à l’hôtel, les trois quarts des véhicules qui nous ont croisés étaient des poids lourds qui ont soit fait une halte près du restaurant situé au rond-point soit ont amené ou retiré des marchandises dans le zoning industriel.
Peu avant le dîner, huit motards de la Gendarmerie ont fait halte à l’hôtel et, lors d’un petit entretien, l’un d’entre eux nous a confié : « Nous sommes un peu nomades comme vous avec vos ânes – chacun à sa manière. »
Ce soir, nous profitons de la richesse qu’offre la carte du restaurant pour faire le plein. Je ne veux nullement prétendre que les repas des autres soirs, agrémentés de plat de riz avec accessoires et/ou de potages consistants, ne suffisent pas à nourrir un homme, mais la tentation est trop grande pour ne pas succomber à la surabondance. Comme il est difficile de faire un pronostic sur la distance qui nous sépare du prochain restaurant, autant savourer sans parler de la vigne associée