SANTONA
- GUEMES
Mercredi,
6 septembre 2017
Jour
6
31 km
Il
a plu pendant la nuit et au réveil une petite brise continue à tomber. Nous
avons dormi fenêtre ouverte et la pièce est rempli d’une odeur de poissons que
nous attribuons dans un premier temps aux bateaux de pêche qui déchargent dans
le port pas trop loin de notre pied à terre.
Comme
le desayuno n’est pas servi par l’exploitant des lieux nous nous dirigeons au
centre du village pour voir si un quelconque commerçant aurait déjà ouvert ses
portes même s’il est seulement huit heures moins le quart. Dans une boulangerie
où l’on fabrique le pain à vue d’œil
tout le personnel est déjà à l’œuvre et un externe à l’exploitation est
en train de nettoyer toutes les fenêtres y compris la porte vitrée d’entrée
lors de notre passage. En visualisant les bonnes choses qui peu à peu faisaient
leur apparition dans les vitrines nous avons dû laisser une impression de
personnes qui ont faim. C’est une des employées qui nous a fait un signe de la
main que malgré l’heure matinale et le laveur de vitres que nous serions les
biens venus. Au moins une personne qui a compris qu’il faut battre le fer tant
qu’il est chaud ou autrement dit de faire son pognon quand l’occasion se
présente. Quatre cafés, quatre croissants, quatre autres friandises, un pain,
deux litres d’eaux le tout pour dix-huit euros – il faut le faire.
Santona
était en son temps une ville fortifiée avec trois forts : le fort San
Martin, le fort San Carlos et le fort del Mazo. Si la ville vit aujourd’hui
également du tourisme, elle est néanmoins mondialement connue pour la
conserverie d’anchois sous toutes ses formes avec plus ou moins une
cinquantaine d’entreprises à le faire.
Alors
que nous nous apprêtons à sortir du village, Nicolas remarque qu’il a oublié
son bâton de pèlerin près de la boulangerie et le voilà parti pour faire deux
kilomètres supplémentaires aujourd’hui. Une fois qu’il nous a rejoint nous
passons à hauteur de l’endroit où nous avons passé la nuit mais cette fois-ci
quelques rues plus loin donnant sur l’intérieur du pays. C’est à ce moment que
nous sommes de nouveau confrontés avec cette odeur de poissons qui très vite se
transforme dans quelque choses d’infect qu’il est impossible d’inhumer. Vouloir
passer en apnée ne sert à rien – l’odeur vous poursuit pendant presque un
kilomètre. Je plains vraiment les personnes qui vivent dans les environs et qui
sont condamnés à vivre ça au journalier. Délocaliser les conserveries d’anchois
et redonner une qualité de vie et d’odeur aux habitants du village semble
illusoire malgré l’espace disponible.
Alors
que nous nous estimions à l’abri de cette odeur infecte, le Camino longe une
station d’épuration qui pue autant. Comme le vent semble avoir tourné
légèrement les évaporations nous souhaitent la bienvenue depuis un certain
temps et à force d’avancer on est pris au piège – p….n !
Face
à la caserne de la Guardia Civil se trouve un mur d’une longueur remarquable
avec des tours d’observation à distances régulières – il s’agit de la prison
Dueso au sujet duquel on peut lire d’avantage dans le « Boletín de la
Asociación de Geógrafos Españoles N.º 67 - 2015, págs. 527-530 ». La
guerre civile d’antan a dû faire rage dans le coin et en ce qui concerne
Santona le Pacte qui porte le nom de la ville a été dénoncé en son temps par
Franco qui a incarcéré dans la prison Dueso quelques vingt-deux mille soldats
dont cinq cent dix ont été passés par les armes. Vu de loin l’espace et les
bâtiments du complexe semblent être des bâtisses d’une valeur architecturale
sans pour autant dévoiler ce que les murs pourraient raconter.
A la sortie de Santona le guide affiche en ce
qui concerne la Punta del Brusco « Ascenso duro por una senda
estrecha ». Faute d’autres informations pour savoir par où passer pour
emprunter une variante moins difficile, il était trop tard. Rappelons qu’il
avait plu la nuit et l’ascension était en conséquence : un petit chemin
semé de pierres aigues et de la glaise avec une montée qui même pour des habitués
ne permet pas de faux pas. Avant d’embarquer sur la partie la plus glissante,
la vue sur la mer nous fait complètement oublier que nous avançons sur un
terrain périlleux. En bas surfers paradise et devant nous la crête et la
descente qui n’en finit pas. Christiane qui depuis un certain temps avec une
médicamentation spécifique a retrouvé une grande partie de son champ visuel ne
se sent cependant pas à l’aise. Je l’ai vécue dans les Cévennes descendre sans
problèmes le Mont Lozère avec une visibilité plus que réduite. J’ai bien
l’impression que le fait de voir partout où elle posait les pieds et surtout ce
qui se trouve encore devant elle l’a tellement impressionné qu’elle risque de
paniquer pour employer ses propres termes. Pour bien l’encadrer Nicolas et moi
avions décidé que Nicolas reste devant elle et moi je passerais en dernier pour
l’attraper par son sac à dos en cas de glissade.
Une
fois arrivés à la plage nous croisons d’autres pèlerins qui sont passés par le
même chemin et d’autres encore qui nous rejoignent surla plage. Voici un petit
échantillon des ouf de soulagements dans toutes les langues tels
que : mama mia, o dio mio, oh my god, chite, putain, heftig etc. La peur
de Christiane n’était donc pas sans justification.
La
plage de Noja avec ses quatre kilomètres de longueur est certes une des plus
belles que j’ai jamais vues y compris celle sur lesquelles nous avons déjà posé
nos pieds durant ce périple.
Pour
accéder à Noja on peut passer par le pont à trois arches Helguaras qui a ses
origines au XVIIe siècle. D’après différentes sources il servait à
sauver les marais entre Helgueras et quartier Trengandín.
Au
nord se trouvent des champs de riz. Comme c’était en dehors de notre périmètre
d’action et que je n’avais trouvé personne pour nous renseigner si on peut les
visiter nous avons décidé de prendre un café et de faire le plein au niveau
ravitaillement sur le marché local et de chercher un endroit pour casser la
croûte plutôt que de nous égarer dans des champs inondés.
Dans
l’après-midi nous passons par Castillo qui à titre représentatif pour beaucoup
d’autres endroits où nous passons près d’une ferme qui n’en mérite pas le nom,
tellement elle est laissé pour compte en passant par les bâtisses, l’équipement
et avant tout les animaux : des chiens attachés à une chaîne et des vaches
qui vivotent sur un terrain sans verdure avec par endroit les pieds dans la
boue jusqu’au chevilles. Condamnés à ne rien pouvoir faire pour y parer, on en
prend quand-même un sacré coup dans l’estomac. Savoir que chez nous les
autorités confisqueraient plus que probablement tous les animaux ne sert en
occurrence à rien – il faut l’accepter tel quel – point barre.
Arnuero
est de nouveau un de ces endroits ou le chemin le plus direct est le plus
dangereux parce qu’il longe la fameuse nationale. C’est pour cette raison mais
probablement à cause des élus locaux qu’il fait un détour pour passer près d’une
ermita qui bien entendu est fermée.
San
Miguel de Meruelo est un autre village dortoir avec toutes ses tours d’habitations
et c’est ici que le Camino passe de l’autre côté de la nationale et donne
directement sur les vestiges d’un ancien moulin. Nous passons à droite et la
seule bâtisse dans le coin est l’Albergue de Meruelo. Nous nous arrêtons pour
faire tamponner nos Crédentiaux et rencontrons à l’intérieur quelques pèlerins
que nous avons déjà croisé et qui ont décidé de s’arrêter ici aujourd’hui. Dans
le petit shop Nicolas, Christiane et Raymond s’offrent un foulard aux effigies
du Camino.
Comme
nous avions réservé à Guemes il faut continuer la route qui en cet après-midi
commence tout doucement à nous prendre à l’usure puisque la majeure partie du
chemin passait par du goudron.
Un
phénomène qui retient notre attention est le fait qu’on rencontre ici beaucoup
de bâtiments où les travaux de construction n’ont pas dépassé le gros œuvre
avec ou sans toit. Que le début de la construction ne date pas d’hier se voit à
œil nue.
Avant
d’entamer la descente vers Guemes nous passons par le camping de Bareyo qui
invite les pèlerins à faire halte chez eux : quarante euros. Mon Dieu –
c’est le même prix que nous payons à l’hôtel sans devoir dresser la tente – oui
avec l’âge on se permet un certain luxe.
Après
trente-et-un kilomètres nous arrivons à la Pension La Terraza ou nous logons
dans des chambres plus que confortables. L’exploitant nous fait savoir que
c’est en principe sa journée de repos mais qu’il est prêt pour nous servir un
repas pour peu qu’on ait fini avant dix-neuf heures. Pas de problèmes – une
fois n’est coutume de pouvoir manger à l’heure où nous avons l’habitude de
faire le plein chez nous.
Avant
de nous coucher avec les poules, le temps de faire la lessive je profite pour appeler
à la maison pour échanger des nouvelles de part et d’autres comme j’ai
l’habitude de le faire tous les jours à même heure. Alors que nous avons frôlé
les trente degrés au soleil il pleut au Luxembourg.