Amanty vers Chassey Beaupré
Jour 9
Vendredi 9 mai 2008
23 kilomètres
Après avoir pris congé, nous quittons Amanty vers huit heures avec Henry et Basile à qui la liberté dans le pré avec de l’herbe en abondance a fait du bien. Malgré une légère montée et neuf jours dans les sabots, nos fidèles compagnons sont pleins de vitalité et quel que soit le bruit qui venait à leurs oreilles, il ne les intéresse plus trop.
Au croisement de la D32 avec la D988, nous avons rencontré un panneau indiquant que cette dernière est fermée à la circulation pour cause de travaux. Alors messieurs les ânes, l’avenue est à vous. Ainsi nous profitons d’une longue ligne droite de six kilomètres rien que pour nous et, pendant ce trajet qui nous a pris une heure et demie, deux choses se sont reconduites comme les jours précédents.
Daniel et moi-même avons quelque part ressenti le besoin de marcher seul, signe manifeste de la nécessité d’une portion privative de recueillement. Avant de partir, je n’aurais pas imaginé un tel besoin et surtout qu’il y aurait de longs moments pendant lesquels j’arriverais à ne rien penser, juste savourer le moment et la beauté du paysage. Les cinq cents mètres qui nous séparaient ont dans la suite toujours été bouchés par les ânes. Chose curieuse, alors que normalement Henry est plutôt le chef, Basile s’est arrangé à chaque départ d’être à l’avant et, une fois Henry arrivé à sa hauteur, Basile a légèrement accéléré jusqu’au moment où Henry a de nouveau décidé qu’il consommerait moins d’énergie et qu’il serait plus intelligent de profiter du côté abrité par le vent – comme dans la Formule 1 quoi.
Juste avant d’atteindre Gondrecout-le-Château, nous passons auprès d’un buste d’animal fait entièrement avec des fers à cheval. Même après plusieurs inspections, je ne saurais me fixer si le sculpteur a voulu représenter un cheval ou un âne. Soit ! La rencontre avec ce drôle de confrère immobile n’était pas sans effet sur Henry et Basile, qui ont longtemps examiné cet équidé sans poils.
Depuis la place devant la tour, seul vestige restant de l’ancien château on a une belle vue sur la ville basse au pied de laquelle coule l’Ormain. Depuis cet endroit, on peut également apercevoir l’église de style roman de la Nativité de la Vierge datant du XIe siècle. Dans la tour du château, se trouve un musée du cheval, malheureusement fermé au moment de notre passage. Compte tenu de la chaleur qui s’annonçait, nous avons préféré continuer notre route plutôt que d’aller à la recherche de celui qui détient la clef du musée.
Dans la ville basse, se trouve un petit supermarché et nous en avons profité pour acheter quelques aliments. A moins de laisser les ânes sans surveillance, nous avons préféré que l’un d’entre nous fasse les achats et l’autre surveille nos amis aux longues oreilles qui, bien entendu, n’ont pas manqué de fonctionner comme aimant pour attirer de gens. Parmi ceux qui se sont arrêtés pour faire un câlin, j’ai rencontré la sœur de Véronique – je commence sérieusement à me poser des questions, dans quelle mesure on peut encore parler de hasard.
Une fois les courses faites, nous avons échangé les rôles de surveillant et je me suis mis à la recherche d’un nouveau tampon pour notre Credential. La porte de la mairie, à proximité de laquelle se trouve une statue en couleur d’un soldat en signe de rappel des horreurs de la guerre, était fermée. Notons à leur décharge que nous avions peut-être mal choisi le moment de notre passage, un vendredi après un jour férié se prête idéalement pour faire le pont. Ne désespérons pas – à quelques mètres de la mairie, se trouve le panneau du bureau des postes et on peut toujours tenter sa chance. Formidable, la porte est ouverte et deux personnes se trouvent devant moi. Le premier client quitte le guichet et le deuxième n’a pas rempli le bon formulaire. Pour éviter de laisser attendre inutilement les gens, la dame derrière le guichet se penche de mon côté et demande : « C’est pourquoi monsieur ?» – et je lui tends le Credential pour témoigner de notre passage. La postière savait parfaitement ce qu’était un Credential et de me répondre : « C’est un très grand honneur pour moi de pouvoir mettre un tampon sur votre Credential. » Comme un timbre à la poste, le Credential est frappé à l’effigie du tampon local des postes – 55 Gondrecourt le Château 9.5.2008.
Il est évident et compréhensible que tout le monde ne partage pas notre façon de pérégriner. C’est ainsi que nous avons rencontré un conducteur de voiture immatriculé 55 qui ralentit à notre hauteur, baisse la fenêtre et crie : « Vous ne pouvez pas porter vous-mêmes vos bagages. » Puis, il s’approche avec sa voiture près de Henry et essaie de le caresser, ce qui bien évidemment ne réussi pas compte tenu de la distance qui sépare la voiture du cou de l’âne. Ce serait la meilleure, insulter le pèlerin et faire des câlins à mon bourricot – pèlerinage ou non, il y a quand même des limites. Et avant de pousser de nouveau sur l’accélérateur il nous confie : « Eh, j’en ai vu des ânes chargés en Algérie! » Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
Comme il reste presque une heure avant le repos de midi, nous quittons Gondrecourt en direction de Horville sur Ornois. Tout près d’une scierie, nous devons passer un passage à niveau. Les bourricots ralentissent un petit peu mais ne s’arrêtent pas. Tout doucement, ils passent de l’autre côté et, comme il se doit, ils ont droit à un compliment et une petite caresse.
Franchir un passage à niveau peut néanmoins être une épreuve pour le meneur d’âne et le plaisir de celui qui observe les choses. Tel a notamment été le cas l’année passée quand j’ai accompagné Nicolas avec Charel, lors de sa première journée de pèlerinage. Dans l’après midi, nous montions une petite pente qui menait à un passage à niveau près d’Arlon en Belgique. Nous avancions normalement et partions du principe que les ânes allaient passer comme si de rien n’était. Arrivés à hauteur de la première poutrelle de chemin de fer, Basile estimait devoir inspecter un peu plus longtemps ce qui soudainement lui bloquait la route. Une fois le rythme interrompu, Henry et Charel attendaient que Basile s’exprime et, en attendant, refusaient d’avancer. Employer les gros moyens ne sert pas à grand-chose dans une occasion pareille, surtout s’il ne s’agit pas seulement d’une voie mais de six qui se trouvent devant vous. Le chef de gare qui nous avait observés avec ses jumelles depuis sa tour d’aiguillage ouvrit la fenêtre et nous crie : « Vous avez seize minutes ».
Le chemin qui menait à Horville est de nouveau un de ceux le long duquel se trouve des deux côtés du colza fraîchement pulvérisé, réduisant à zéro toute tentative des bourricots pour brouter un petit quelque chose. Le repos de midi était bien nécessaire puisque le soleil avait fait des siennes pour user les forces, tant les nôtres que celles des bourricots. Alors que Basile dormait debout, Henry avait préféré se coucher dans le fossé le long d’une sapinière.
Horville en Ornois est un petit village avec une cinquantaine d’habitants, dont nous en avons rencontré quatre en train d’essayer de remettre une pompe à eau en marche. Un des techniciens est venu à notre rencontre et était bouche bée de voir deux ânes chargés obéissant à la parole, quand je demandais à Henry de s’arrêter. « Mais comment faites-vous pour y arriver. Les miens ne se laissent pas faire – on ne peut même pas les prendre en laisse. »
A voir les deux confrères asiniens qui regardaient dans notre direction, je concluais qu’ils étaient encore jeunes et qu’il reste une grosse charge d’éducation à faire. Eh ben, mon cher confrère patron des longues oreilles, je te souhaite bonne chance et surtout de la patience.
La D32 que nous avons traversée par la suite avait deux caractéristiques : un trafic un peu plus intense et une ligne droite à n’en pas finir. Je n’aime pas ces passages monotones où vous croisez à la fois des conducteurs qui ralentissent, dès qu’ils nous ont repérés, alors qu’avec d’autres il faut redoubler de précaution. Si le son du moteur reste le même, mieux vaut serrer un peu plus fort la longe.
A Luméville en Ornois, nous avons rencontré la mairie la plus petite de tout le trajet – à peine plus grande qu’une maisonnette d’arrêt de bus dans une agglomération d’une certaine taille. Contrairement aux autres villages par lesquels nous sommes passés, je ne trouve rien de particulier à Luméville. Plus tard j’apprendrai que Luméville est néanmoins le lieu de rassemblement du festival « Débranche », de ceux qui luttent pour un avenir sans le nucléaire.
Vers dix-sept heures, nous arrivons à Chassey Beaupré que nous avions repéré sur la carte comme endroit pour passer la nuit. La recherche d’un endroit pour passer la nuit devait cependant s’avérer plus difficile que prévu, malgré l’affluence générée par Henry et Basile. Un habitant avait repéré une prairie appartenant à quelqu’un qui n’habite pas le village et qui avait déjà marqué son accord par téléphone de nous laisser camper sur sa propriété, mais de préférence au milieu du pré parce que sur les bords, se trouverait de la petite ferraille.
Nous n’avons pas refusé tout court mais préféré tenter notre chance ailleurs, et au pire revenir – décidément le confort dont nous avons pu bénéficier les derniers jours nous a probablement rendus un peu difficiles.
A la sortie d’une exploitation artisanale, nous rencontrons une femme qui visiblement rentre à la maison. Nous nous renseignons si elle ne connaît personne avec un pré pour accueillir deux ânes et deux pèlerins. Bingo, rebonjour le hasard pour passer au bon moment au bon endroit – la dame est l’épouse du propriétaire de l’exploitation devant laquelle nous nous trouvons et ils habitent en face.
C’est ainsi que nous sommes hébergés dans un petit hangar construit récemment. Comme nous avons déjà l’habitude de pouvoir prendre une douche en soirée, nous n’avons pas été déçus ce soir. Alors que les enfants de la maison caressaient les ânes et leurs offraient des carottes, Jean-François nous propose de faire un feu et ramène une brouette de bois tout en nous donnant l’autorisation de refaire le plein de la brouette s’il le fallait. Après quelques hésitations et au fur et à mesure que l’heure avance, la température baisse. Nous décidons de ne plus tarder de placer les bûches de manière à disposer d’un bon feu qui nous rappelle notre passé scout.
Dans le hangar se trouve un objet très rare – un banc avec table intégrée sur laquelle nous commençons à cuisiner. Comme entrée, un potage suivi de riz avec accompagnement et les œufs qu’on nous avait offerts la veille. Pour finir, les derniers biscuits, du café et du thé.
Habitués à nous coucher tôt dans notre tente à la tombée de la nuit, le feu nous a retenus éveillés un long moment et le labrador familial nous a tenu compagnie. Alors que la nuit était tombée entre-temps et que le labrador avait décidé d’aller jouer avec les ânes, qui n’appréciaient pas ce geste d’amitié, nous décidons de l’accrocher à une longe devant le hangar, ce qui ne lui plaisait pas. Une fois couché le labrador a vite abandonné ses plaintes et nous l’avons retrouvé le lendemain tout content de nous revoir.