GARGLIESSE - CROZANT
Lundi,
21 mai 2012
Jour
4
25 km
S’il
fallait attribuer un titre à chaque étape, celle qui nous amenait à Crozant a
été la plus difficile depuis que je pérégrine sur le Camino.
Il
a plu presque toute la nuit et le matin s’annonce peu accueillant, sous un ciel
toujours couvert et plus que menaçant. Tous les pèlerins qui ont passé la nuit
dans le gîte semblent avoir comme dénominateur commun de passer au plus vite en
action fidèle au dicton : »La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin ».
On n’en est pas encore là – mais cela risque de ne pas tarder.
Nous
remontons la petite rue vers la D39 et, compte tenu de la configuration du
terrain, je me rappelle avoir demandé la veille à un local à quoi ressemble
Gargilesse en hiver. Apparemment il n’est pas rare que le froid s’y installe
pour des périodes plus longues et que en cas de neige, le village se sentirait
trop souvent à l’abandon faute de moyen de lutte contre la neige. Il se
trouverait même que des habitants n’arriveraient pas à sortir du village parce
que les routes seraient laissées à l’abandon et qu’un cultivateur, outillé avec
des moyens non dignes d’une dénomination de chasse-neige, n’arriverait pas à
lutter à lui seul contre ce que mère nature déverse sur ce petit coin de terre.
A
la vue de certains chemins affichés sous le signe du Camino, nous décidons de
rester sur le chemin goudronné, ceci d’autant plus que le chemin officiel
croise ici à rythme régulier la chaussée.
Daniel semble se rétablir de plus en plus de
sa rencontre nocturne avec le pied de Henry, puisqu’il part en premier en
suivant la cadence imposée par Basile. Basile quant à lui fonce toujours en
début de journée jusqu’au moment où nous rencontrons le premier obstacle. Au
plus tard à ce moment, Henry doit prendre la relève pour vérifier, comme
toujours, si le chemin est praticable.
Sur
la D40, un petit abri de ramassage scolaire retient notre attention. Près du
lieu-dit « Belair » en combinaison avec la suite appelée
« Les Quatre Vents », la construction érigée dans un béton peu
accueillant, loin de tout désherbage mais surtout par sa taille, ne doit pas
forcément inciter à y attendre trop
longtemps l’arrivée du bus. Cet abri n’a décidément rien de commun avec les
constructions de même fonction de chez nous, surtout pas avec celle en bois de
chêne que nous avions vu construire à La Ferté sur Aube.
Comme
la petite brise qui nous accompagne depuis le matin a augmenté en intensité,
nous décidons de ne rien visiter à Cuzion et d’en profiter pour continuer notre
chemin, fidèles à la devise que la pluie ne devait pas trop arriver aussi
longtemps que le vent souffle.
Peu
après la sortie de Cuzion, le couple de pèlerin au tandem nous dépasse et leur
progression dans cette descente ne nous laisse que quelques instants pour un petit
échange du genre « buen Camino ». La configuration des lieux, à
travers des serpentines avec un feuillage qui couvre tout et où la lumière a
des difficultés pour passer, pèse un peu sur le moral d’autant plus que le
froid a fait son apparition et que les feuilles versent leurs dernières gouttes
de la nuit, semblant faire leurs préparatifs pour accueillir la prochaine
douche. Durant ces quelque cinq kilomètres, nous n’échangeons pas grands mots
sauf pour vérifier, de temps à autres si nous sommes toujours sur la bonne
route. Au fond de la vallée, nous arrivons vers un pont qui donne une vue sur
le mur du barrage d’Eguzon. Avec ses 312 hectares de surface, il n’est pas
seulement une terre de détente pour les adeptes de l’eau mais doit également
jouer un rôle déterminant dans la production en électricité à en juger les
lignes de haute de tension qui sillonnent le paysage.
Tout
comme la descente que nous venons de faire, la montée de l’autre côté de la
vallée ne nous permet pas d’avancer côte à côte. Visiblement les ânes l’ont
compris puisque, malgré la montée non négligeable ils avancent à une cadence
élevée comme s’ils voulaient atteindre le plateau au plus vite. Nous ne
demandons pas mieux pour sortir au plus vite de ces serpentines avec un trafic
plus intense que celui que nous avons l’habitude de rencontrer. Après une progression interminable en ligne
droite d’Eguzonne, nous arrivons vers midi à Eguzon-Chântome. A l’entrée du
village, nous apercevons un petit panneau indiquant « route du Val de
Creuze – suivre Saint-Benoît ». Benoît est le prénom de notre directeur –
mais aller jusqu’à le qualifier de saint serait quand même un peu fort de café.
C’est d’ailleurs une des seules fois que nous échangeons sur le boulot, ce qui
est une preuve que nous sommes arrivés à décompresser de plus en plus.
George
Sand a qualifié Eguzon, qui en son temps était orthographié Aiguzon, comme
maussade et ses habitants de désagréables parce que quelques-uns des leurs
s’étaient moqué de son malheur de tomber devant eux d’une mule. Sans vouloir
empiéter sur les écrits de George Sand, nous voilà à Eguzon avec nos deux ânes
et nous n’avons rencontré personne de désagréable et le village n’a rien de
particulier qui mériterait la susdite qualification. Après un arrêt près du
boulanger du coin, nous décidons de faire la pause midi dans le petit parc
derrière le château. Sans les ânes, nous aurions profité d’un abri dans un des
bistrots puisque le vent avait entretemps doublé de cadence accompagné d’un
froid qui nous a forcés de revêtir la presque totalité du stock de nos
sacoches. Même dans des moments pareils, il ne faut pas désespérer et tirer
profit des facilités offertes par le confort de nos sacoches – la gamelle et le
brûleur à gaz pour nous préparer une tisane bien chaude.
Une
fois nos affaires remballées, les premières goutes commencent à tomber et,
combinées avec la brise, on ne se croirait pas à la fin du mois de mai mais
plutôt au mois de mars. Comme la pluie devient de plus en plus intense, notre
fabrication maison pour couvrir les sacoches et en même temps le dos des ânes
s’avère faire ses preuves. Même si Henry et Basile ont tendance à chercher au
plus vite un abri par un temps pareil, ils avancent malgré eux mais on sent que
le moral n’est pas là. Au lieu de voir leurs têtes bien droites pour scruter
l’horizon, les voilà tout d’un coup penchées vers le bas comme s’ils voulaient les
protéger au mieux contre la pluie. C’est ainsi que avançons plus lentement que
d’habitude sur cette D913 qui n’offre que peu d’endroits à l’abri de la pluie.
Quelques
kilomètres avant Crozant, nous devons prendre une décision : soit
continuer sur la route malgré une carte peu détaillée, soit suivre le chemin
officiel et rentrer dans des sentiers peu accueillants et non désherbés. Par
mesure de sécurité, nous suivons le chemin officiel. Comme les chaussures sont
de plus en plus trempées, l’eau stagnante dans le chemin que nous avons
entrepris ne peut plus nous effrayer. Peu avant Vitrat, nous commençons la
descente vers Crozant à travers des serpentines qui ne se terminent pas, en
croyant que le village se trouverait au fond de la vallée. Hélas, il faut de
nouveau remonter de la vallée de l’autre côté pour arriver près des ruines du
château en face duquel nous nous mettons à l’abri sous un toit, qui a
probablement servi en son temps de garage pour l’hôtel d’en face qui a fermé
ses portes. Même si nous sommes à l’abri de la pluie, nous sommes loin d’être
sauvés des intempéries : en effet toit il y a, mais pas plus. Le vent
souffle de tous les côtés, et mouillés comme nous sommes, on ne peut qu’espérer
ne pas prendre froid.
Quand
je veux téléphoner à notre chauffeur d’hier pour aller récupérer la voiture, je
dois constater qu’il n’y a pas de réseau, ni sur mon portable ni sur celui de
Daniel. Nous décidons que Daniel reste près des ânes et que je monte au village
espérant avoir du réseau en hauteur. En cette fin de journée, mouillé comme je
l’étais, monter encore plus d’un kilomètre pour arriver au village, je vous
jure qu’il y a d’autres plaisirs. C’est
finalement dans une petite épicerie que j’ai pu téléphoner.
De
retour avec la voiture, je vois que Jack et sa fille Julia ont également pris
refuge sous le toit et nous embarquons de suite les ânes dans la bétaillère
dans laquelle ils trouvent du foin que j’ai pu trouver chez un cultivateur du
coin que je tiens ici à remercier de tout cœur. Coupons court : nous
n’avons pas trouvé un abri pour les ânes et je suis heureux d’avoir recouru au
principe de la récupération de la bétaillère en chaque fin de journée. Plus
tard dans la soirée, nous avons constaté que les ânes avaient bien récupéré et
pas souffert du mauvais temps puisque uniquement leurs têtes et une partie à
l’arrière était mouillées. La recherche d’un abri hors bétaillère nous avait
coûté plus d’une heure et c’est seulement maintenant que nous avons pu nous
occuper de nous mettre également à l’abri dans le gîte où Xavier était déjà
arrivé depuis quelques heures, bien à l’abri après avoir pris une douche, ses
affaires pendues pour sécher.
J’ai
longtemps discuté avec Daniel des avantages et désavantages de pérégriner avec
des ânes. Pour ce qui est de leur confort en fin de journée et du nôtre, nous
avons conclu que cette manière de faire le Camino n’était décidément pas en
notre faveur. S’y ajoute, et c’est particulier à cette année, que nous avons eu
pas mal de difficultés pour trouver un abri pour ânes. Avec en supplément l’avis
d’un local qui a partiellement vécu ailleurs, je me pose certaines questions
quand il me dit : « Ici les gens sont très méfiants et peu
accueillants». Je ne voudrais pas signer ce constat gratuitement – je dirais
juste que nous sommes déjà passés dans des coins moins refermés sur soi.
Comme
les autres pèlerins, nous avons suspendu nos affaires mouillées et mis de vieux
journaux dans les chaussures pour les sécher. Pour obtenir un résultat dans ce
domaine, nous avons dû changer de journaux à plusieurs reprises.
Toujours
sous une pluie battante mais avec des habits secs nous nous sommes mis à la
recherche d’un restaurant et sommes tombés devant « l’Auberge de la
Vallée » sur un panneau indiquant « soupe du pèlerin avec
fromage ». A l’intérieur le chef nous a accueillis et propose la soupe du
pèlerin ou bien un menu dans trois catégories de prix différents. Nous avons
opté pour celui avoisinant le prix d’une pizza chez nous et avons été gâtés puisque
le chef n’était personne d’autre que Sébastien Proux. Pour une bonne adresse,
je ne peux que le recommander – trouver un très bon restaurant avec un rapport
qualité prix dans un coin qui n’offre pas trop d’autre confort, il faut le
faire.