ISLARES-SANTONA
Mardi,
5 septembre 2017
Jour
5
27 km
Le
desayuno ne répondait pas tout à fait aux calories qu’un pèlerin devrait
s’approprier pour un effort de plus ou
moins vingt-cinq kilomètres pendant cinq à six de marche. Aussi l’heure à
partir de laquelle celui-ci peut être pris ne correspond pas non plus à l’heure
de départ normal d’un pèlerin. Les puristes parmi les pèlerins me diront
probablement que c’est le prix à payer pour descendre dans un hôtel au lieu de
séjourner dans un gîte. Comme je fais le Camino depuis des années, je réponds
qu’il y a du vrai et du faux dans cette façon de simplifier les choses :
j’ai séjourné dans des gîtes de première classe – par contre j’ai également
passé la nuit dans des bâtisses dénommées gîtes qu’on devrait fermer de suite,
les pires étant ceux qui sont gérés par une collectivité publique. Prendre son
café dans un bol et une petite assiette pour mettre le pain qui ont été lavés
sans avoir vu à peine un peu d’eau et surtout avoir été essuyés avec le seul
torchon pour une trentaine de personnes que tout le monde a pris dans ces mains
n’est pas non plus du goût de tout le monde. Les gîtes tenus par des privés ou
des pèlerins qui sont déjà arrivé à Saint Jacques de Compostelle étant ceux qui
sont le plus recommandables. Pour le surplus je soutiens qu’il appartient à
chacun de faire SON chemin et de compenser ce que bon lui semble sur le marché.
Nous
quittons l’hôtel vers huit heures trente et un panneau affiche vingt-deux
degrés. Une fois à l’extérieur nous apprécions après coup les fenêtres
isolantes et insonorisantes de l’hôtel. En effet le bruit causé par les
voitures et les poids lourds sur la six centre trente-quatre et la A8 est
infernal. Dire que devrons marcher pendant quatre kilomètres sur la six cent
trente-quatre, cela promet de ne pas être relaxe. Alors que nous sommes encore
dans le périmètre du village où de multiples panneaux affichent une vitesse
limitée à cinquante kilomètres à l’heure nous croisons deux fous du volant. Le
premier nous dépasse à une vitesse ressentie comme proche du cent à l’heure et est
au premier virage déporté sur la voie adverse avec un grincement des pneus qui
vous fait faire un compte à rebours en attendant un impact quelconque.
Heureusement pour lui et les pèlerins qui nous précédaient il a réussi à s’en
sortir. Le deuxième était probablement daltonien – il a tout simplement pris le
rouge pour de vert à une vitesse qui elle aussi dépassait le permis.
Une
autre particularité sur le tronçon de la route en cette heure matinale, sont
des statuts reposant sur des socles en granit le long de la nationale. Nous en
avons vu une qui était dans l’état dans lequel celui qui l’y a déposé voulait
qu’elle soit : pour les autres – perte d’un bras, perte de la tête,
disparition complète et, pour la dernière, quelqu’un s’est seulement intéressé
pour les plaques en granit.
Si
je vous dis que MacGyver a probablement été au secours de cultivateurs locaux,
vous me croirez probablement pas. Je n’ai cependant pas d’autres explications à
fournir pour comprendre comment on peut recycler des ressorts de lit – et ce en
grande quantité – pour en fabriquer des portes d’entrée dans les prairies.
Orinon
où nous passerons plus tard se trouve à vue d’œil à trois cents mètres,
malheureusement séparé par rapport à nous pour une embouchure d’un fleuve et
loin d’un quelconque pont.
Dès
que le chemin a quitté la six cent trente-quatre, nous nous sommes sentis à
l’abri des fous du volant dont le nombre était en augmentation plus on avançait.
Malgré le fait que le chemin montait pas mal nous avons fait un petit état des
lieux de la forme du jour. S’agissant du troisième jour de marche les petits
problèmes de début de périple de chacun avaient disparu. Comme nous sommes
partis en groupe notre cadence n’était pas aussi élevée que celle d’autres
pèlerins qui pérégrinaient tout seul ou à deux. A Nocina nous avons croisé deux
jeunes filles que nous avions déjà vu hier et l’une d’entre elles boitait un
petit peu – aujourd’hui cela faisait mal rien que de voir comment elle marchait
– j’ose espérer que les choses se sont améliorées pour elle, qu’elle a fait un
jour de repos ou tout simplement pris la sage décision d’accepter qu’il y a des
circonstances dans lesquelles la raison doit l’emporter sur la volonté.
En
sortant de Nocina un vieux monsieur nous a indiqué qu’à la sortie du village il
fallait prendra « a la derecha » pour emprunter le chemin le long de
la côte et que pour le surplus ce serait moins long. Arrivés sur les lieux nous
avons rencontré un panneau orienté vers la gauche qui indiquait « Santona
24 km » mais rien de particulier du côté droit. Partant du principe qu’il
devrait savoir de quoi il parle, nous avons donc opté pour la voie côtière et à
l’entrée du village une flèche jaune indiquait en effet qu’il fallait passer le
pont pour passer par la voie côtière. Une fois le pont dépassé nous avons revu
le croisement où nous avions quitté la six cent trente-quatre – à peine à trois
cent mètres du point où nous nous trouvions en ce moment. Dires que nous avons
contourné le village pour faire une montée et revenir presqu’au point de départ
pour un ensemble de quelques quatre kilomètres, c’est fort de café.
Avant
de prendre le chemin qui longe l’embouchure j’avais vu un panneau qui disait
« no por bicis » sans trop y apporter d’importance. Qu’est-ce qu’il
faisait bon de marcher dans cette petite forêt à l’abri du soleil qui
commençait à frapper fort. A sa sortie nous avons vu une chaîne impressionnante
de montagnes qui me laissaient devenir à peu près vers quoi nous étions en
train de nous diriger.
Vers
dix heures trente nous arrivions à Sonabia et unanimement nous tombions
d’accord qu’il était l’heure de prendre un café ceci d’autant plus qu’à
l’entrée du village il y avait un bar et que deux personnes s’y trouvaient.
Notre surprise était grande de trouver la porte fermée et qu’un serveur qui
était en train de griller une cigarette devant la porte nous disait. « es
serrado – abrirse a las once ».
De
deux choses l’une : soit il est strictement interdit par la loi d’ouvrir
les portes avant une heure précise ou les espagnols nagent dans le fric. En
écartant la première hypothèse je ne comprends pas qu’on laisse trainer
l’argent qui se trouve par terre dans un contexte économique difficile. Il se
pourrait cependant également qu’on ait peur des clients ou du travail. Ceci
résume à peu près ce que chacun de nous pensait à haute voix.
Dans
le village se trouvait un panneau indiquant Santona trois kilomètres et demi ce
qui correspondait tout à fait au plan indiqué sur le portable. Ce qui me
surprenait néanmoins était la durée : deux heures cinquante : il y a
quelque chose qui cloche mais je ne savais pas trop quoi.
Par
un soleil battant nous descendons vers la mer pour rejoindre un petit chemin
qui donne vers la montagne – au plus tard maintenant j’avais compris pourquoi il
fallait prévoir autant de temps pour un parcours qu’on ferait normalement en
moins d’une heure. Le chemin ne longeait en effet pas la plage mais la
contournait. Au loin j’ai vu deux personnes qui avançaient très lentement et je
me suis proposé de passer en éclaireur pour aller voir si le chemin était
praticable. La première centaine de mètres est plus que difficile dans la
mesure où on ne marchait que sur du sable sec qui à chaque progression coulait
sous mes pieds. Peu à peu on pouvait parler de chemin et à presque un kilomètre
du point où Nicolas, Christiane et Raymond attendaient que je vienne aux
nouvelles, j’ai dû me rendre compte que ce chemin n’était pas fait pour
s’aventurer davantage. En effet une partie du rocher avait glissé dans la mer
et en aval il n’y avait pas moyen de s’accrocher en cas de glissade ou de
chute. Vive le portable – j’en ai informé les autres qui ont tout doucement
rebroussé chemin.
Après
une heure et demie nous revoilà de nouveau au point de départ à Sonabia. Comme
l’arrêt de bus offrait un peu d’ombre, nous y avons réfléchi que faire. Comme
les horaires des bus ne permettaient pas de voir clair quand et où ils vont,
j’ai profité du passage d’une jeep de la Guardia Civil pour leur demander si
eux en savaient un peu plus. Un des gardiens a essayé d’y voir un peu plus
clair mais est très vite arrivé à la même conclusion que j’avais tiré de cet
affichage. Sur sa demande où nous voulions aller, je leur ai expliqué que notre
objectif était Santona par la côte mais que le chemin par la montagne était
trop dangereux. Puis, spontanément il nous a dit qu’ils pourraient amener trois
d’entre nous dans la vallée jusqu’à un point ou la route rejoint de nouveau le
chemin de Saint Jacques. C’est ainsi que Nicolas, Christiane et Raymond ont été
embarqués dans la jeep de la Guardi Civil. Comme je parle l’espagnol je me
proposais de rester sur place et de faire du stop – je trouverais bien
quelqu’un qui descendait dans la vallée. Juste avant le départ de la jeep un
jeune étudiant en route pour Santander s’apprêtait à doubler les gardiens de la
paix. Sur la demande du chef, il a suivi la jeep pendant huit kilomètres et
j’ai pu descendre au même endroit que mes accompagnateurs. Un très grand merci
à tous. Cette aide spontanée fait partie des histoires qu’écrit le grand fleuve
du Camino et restera dans notre mémoire pour longtemps.
A
l’heure de la rédaction de la présente nous vivons la volonté du peuple Catalan
pour devenir indépendant et le rappel de l’Etat espagnol qu’il est indivisible.
Il ne m’appartient pas de prendre position ni pour l’un ni pour l’autre.
Néanmoins avec les images véhiculés sur les médias en relation avec le
référendum on voit une autre image de la Guardi Civil et je suis en droit de me
poser la question ce qui serait advenu à un pèlerin s’il y serait passé par
hasard. Ce qui m’inquiète le plus dans toute cette histoire est comment une
force de police à statut militaire peut d’un côté montrer un côté humain sans
qu’on l’ait forcé à le faire et de l’autre exécute à l’aveugle un ordre avec le
résultat qu’on connaît.
Nous
avons marché encore pendant une heure avant de rejoindre le hameau de Tarrueza.
A la recherche d’un endroit pour casser la croûte nous avons rencontré une
jeune fille qui nous proposait de prendre place sur le banc devant leur maison
à l’ombre d’un parasol. Elle nous a dit qu’elle s’appelait Alessandra et nous a
demandé si nous voulions visiter l’église Santa Celilia datant du XVIIe
siècle et dont elle détenait la clef. Même si ses connaissances sur les détails
étaient un peu limite, il faut honorer l’effort d’une jeune à la quête de
personnes qui passent dans un hameau isolé pour de un : oser d’approcher
des personnes inconnues et de deux : expliquer l’histoire d’un bâtiment
qu’elle-même semblait être en train de découvrir au niveau historique et
architectural. Une fois par année la chorale de Laredo monte à Tarrueza pour
chanter les louanges de Dieu lors de la kermesse locale et accompagner la
procession autour du village. Ce serait l’occasion pour beaucoup de revenir une
fois par année au hameau. Nous avons offert vingt euros à notre guide, don auquel
elle ne s’attendait pas ce qui fait d’autant plus de plaisir.
Dans
la montée vers le quartier Santa Ana j’ai vu par hasard une plaque attachée au
mur sur laquelle on pouvait lire : « En memoria Rodrigo Grossi
Fernandez – termino aqui su andadura hacia El Salvador y Santiago el dia 18 de
Mayo de 2008 – Associacion Astur Leonesa de Amigos del Camino de Santiago – 17
de Mayo de 2009 ». Même si je n’ai pas connu cet homme, je n’ai pas pu
faire autrement que de penser à lui pendant un certain moment alors qu’il
s’apprêtait à pérégriner la même route que moi.
A Laredo nous sommes de nouveau passés du
calme des sentiers perdus dans un centre touristique dont le grand nombre de
vacanciers semblait cependant déjà avoir quitté les lieux. Avant d’attaquer la
longue promenade pour rejoindre le bateau qui relie Laredo à Satona nous avons
fait une pause-café sur une terrasse dans le vieux quartier de la ville dans
laquelle on peut encore rencontrer des bâtiments datant des XVIe et
XVIIIe siècles. Inutile de préciser que l’église de Santa Maria de
la Asuncion était fermée.
L’office
du tourisme se trouve juste à quelques mètres et nous y avons fait tamponner
notre Credential. Comme le veut le système, le personnel demande toujours d’où
on vient : « de Luxemburgo » parle pour les uns mais pour les
autres – pour le surplus sur la feuille des statistiques le pays n’est pas
répertorié, il faut l’ajouter à la main. Quatre d’un coup devrait normalement
suffire pour l’ajouter au relevé statistique.
D’après
le personnel la plage dite Salve ferait quatre kilomètres et compterait parmi
les plus belles du coin. Dire quelle elle belle est un peu timide – elle tout
simplement magnifique. Je ne voudrais cependant pas être à Laredo en pleine
saison même si la digue est aménagée pour accueillir un grand nombre de personnes.
Laredo est un bel exemple d’une ville entièrement fixée sur le tourisme. Le
long de la digue on longe des bâtiments tour sur les quatre kilomètres avec une
profondeur dans l’arrière-pays de quelques centaines de mètres. La grande
partie des volets étaient fermés, signe que la vie dans ces bâtiments se limite
à deux ou trois mois pendant la bonne saison.
Nous
avons mis une heure à parcourir la digue et arriver au point de départ du
bateau pour Santona ou attendaient déjà d’autres pèlerins. C’était une longue
journée et nous apprécions tous la traversée avec le « Pedro – Jose »,
une de ces petites embarcations qui font le taxi navigant. C’est toujours
spectaculaire de se trouver à bord d’une de ces petits bateaux qui prend de
plein fouet les vagues issues des grands navires qui ont la priorité. La
traversée de l’estuaire de l’Ason s’est néanmoins faites sans trop d’encombres
et la vente d’anchois à bord pendant le court passage ne nous a pas trop
intéressée.
A
Santona nous prenons quartier dans l’hostal El Parque qui se trouve à la sortie
du village. En d’autres termes à partir du quai d’embarcation il faut encore
compter un kilomètre et demi pour rejoindre notre quartier de nuit. Le tout se
trouve au deuxième étage d’un immeuble à usage multiple – nos bagages sont déjà
arrivés – c’est l’essentiel.
Si
le fait de ne pas pouvoir manger quoi que ce soit avant vingt heures voire
vingt-et-une heures ce qui est une particularité des pays du sud, une autre est,
qu’une fois on a trouvé un endroit avec une carte qui vous parle, il est
parfois fortement recommandé d’emmener des bouches oreilles. Les espagnols ont en
effet une préférence pour installer plusieurs postes de télévision dans le
comedors et afin de permettre à tout le monde de suivre soit du sport soit des
publicités on met le son à fond la gamelle. L’essentiel c’est que le serveur on
a bien compris ce qu’on veut manger.