AUGY-SUR-AUBOIS – CHARENTON DU CHER
Mercredi, 1 juin 2011
Jour 3
25 km
Nous prenons un bon petit déjeuner qui est compris dans le prix du gîte et Jan nous informe qu’il marchera quelques kilomètres avec nous avant de reprendre son rythme de croisière. Je conviens encore avec le gestionnaire du gîte qu’il viendra me chercher le soir pour reprendre ma voiture et suis surpris que cette demande tombe presque sous le sens du service offert.
Nous suivons le premier signe du Camino et, dès le début, Jan parle et parle et parle. Tantôt c’est Marc qui discute avec lui, tantôt c’est moi. Voilà un pèlerin qui doit savourer le moment de ne pas devoir pérégriner tout seul. Nous sommes tellement pris par nos discussions qu’au premier croisement nous prenons intuitivement à droite. Après quelque quatre cents mètres, nous devons néanmoins nous rendre compte que nous sommes engagés dans un cul de sac puisqu’une clôture termine le chemin à la lisière d’un grand pré avec des vaches. Retour en arrière et, au croisement où nous avons bifurqué du mauvais côté je demande à Marc de tenir Henry pour me permettre de chercher un logo qui devrait marquer la direction à prendre. Tiens, le voilà – caché derrière une végétation abondante, il nous demande de prendre à gauche.
Le chemin pour rejoindre la D91 est peu spectaculaire. Quand nous passons près d’un pont à l’entrée du Bois de Lienesse, nous découvrons de nouveau la Saab noire avec la plaque d’immatriculation d’Aix-la-Chapelle. Un peu devant nous marche un couple de personnes d’un certain âge qui se révèle être les propriétaires de la Saab. Ils nous racontent qu’ils font tous les jours un petit tour du Camino pour revenir en boucle vers leur voiture et ils continuent de la même façon chaque lendemain.
Nous quittons la D91 vers la gauche et nous engageons sur le GR654 qui longe le canal de Berry et fait sur ce tronçon route commune avec le Camino. Le chemin le long du canal sur lequel nous marcherons toute la journée est très large mais accidenté, dans la mesure où il y a pas mal de petits trous qui obligent constamment à changer de rythme de marche.
Sur notre droite, nous passons près du château de Lienesse qui date de la première moitié du XVIe siècle, avec en arrière-plan le village de Neuilly-en-Dun qui se trouve de l’autre côté du canal. Le pigeonnier du château de Lienesse est inscrit sur l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis mille neuf cent soixante-et-onze.
Jan nous raconte avoir fait plusieurs métiers dont, entre autres, le mobilier de bureau et que sa fille aînée le rejoindra probablement pour faire avec lui quelques étapes en Espagne. Souffrant d’un léger mal au pied gauche les derniers jours, il est en train de découvrir les bienfaits de la vitesse d’un âne et nous informe que ce rythme le force à avancer un peu plus lentement, ce qui lui fait visiblement du bien. Il avait pourtant dit qu’il ne nous accompagnerait que quelques kilomètres – voilà que nous marchons déjà ensemble depuis neuf kilomètres.
Entre l’ancienne écluse près du château de Lienesse et celle de Presles, nous longeons une partie du canal qui est presque à sec, ce qui confirme une fois de plus l’absence de pluie. Juste devant l’écluse de Presles, il y a de nouveau un peu d’eau et nous pouvons observer quelques poissons dont la pointe supérieure sort de l’eau. Je trouve cette situation un peu bizarre puisque derrière l’écluse l’eau est plus abondante. Y aurait-il quelqu’un qui s’occupe de ce problème ?
C’est ainsi que nous passons d’écluse en écluse et avançons plus vite que prévu. Comme le paysage est tellement beau, nous en profitons pour faire quelques photos. A hauteur de Fontblisse je découvre Marc en train de s’adonner à une de ses passions – écrire des SMS tandis que je m’offre une barre de müsli achetée hier au supermarché. Nous la partageons avec Jan qui hésite un petit peu mais la mange quand même. Fontblisse se trouve près de Bannegon et constitue le point d'intersection des trois branches du canal de Berry (Montluçon, Tours et Marseilles-les-Aubigny). Le site qui date du XIXe siècle est constitué par l’écluse, une petite maison, un pont et une gare d’eau.
Après cette pause, nous décidons de continuer jusqu’à Vernais avant de faire notre pause midi. L’heure avance et comme il est presque midi un quart, Henry et Basile nous rappellent à leur manière qu’il est temps de se reposer un peu plus longtemps. C’est ainsi qu’ils font descendre la moyenne de progression aux environs de deux kilomètres à l’heure. Nous sommes heureux de trouver directement à l’entrée de Vernais une aire de repos avec des arbres et surtout de l’herbe. Nous y attachons les ânes et je me mets à la recherche d’un seau avec de l’eau. L’ouvrier communal à qui se je signale au passage que nous avons senti une très forte odeur de gaz en descendant du pont n’est pas trop inquiet. Il me donne un seau et me montre le robinet.
Grâce à nos amis aux longues oreilles, notre cuisine ambulante est toujours bien garnie et nous demandons à Jan s’il se joint à nous pour manger – ce que nous mangeons traditionnellement à midi. Hésitant au début, il décide finalement d’accepter notre offre et son appétit est à hauteur d’un pèlerin qui a déjà quatorze kilomètres dans les jambes.
L’aire de repos sur laquelle nous nous trouvons donne sur la vieille église Notre-Dame qui date du XIIe siècle, ayant appartenu en son temps à un prieuré dépendant de l’abbaye bénédictine de Charenton. Un petit tour autour de l’édifice me surprend dans la mesure où on voit à travers une ouverture de la paille. Ce qui m’amène à penser qu’une partie a servi ou sert encore de bâtiment à usage agricole alors qu’une autre partie visible à partir du hangar, où j’ai pris de l’eau pour les ânes, semble répondre à une ancienne habitation. Côté rue, se trouve un panneau renseignant des visites dans une autre partie qui abrite apparemment des fresques.
Dans l’après midi, Jan est toujours en notre compagnie et nous continuons notre route sur le GR654 en direction de Charenton-du-Cher. C’est ici qu’après vingt-cinq kilomètres que nos chemins se séparent. Alors que nous nous dirigeons en direction du gîte local, Jan veut encore marcher jusqu’à Saint- Amand-Montront, soit encore sept kilomètres. Ultreia Jan, y siempre buen Camino. Je viens de recevoir un mail Jan nous informant qu’il vient d’arriver à Saint Jacques de Compostelle.
A l’entrée de Charenton, nous croisons une dame qui conduit un homme vers un centre médical juste devant nous – elle s’arrête, nous regarde mais surtout les ânes et dit : « Ca c’est du vrai pèlerinage. » Plus tard je reconnais dans la dame, madame Mativon, propriétaire du gîte du Camino de Charenton. Le gîte est une belle propriété qui nécessite néanmoins encore un investissement non négligeable d’entretien. Madame Mativon nous confie qu’elle a beaucoup de travail et que la disparition prématurée de son mari n’arrange pas les choses. Dans son bureau installé dans une pièce au rez-de-chaussée je découvre une photo avec un âne blanc d’un monsieur qui est passé par ici il y a quelques années. Quand je dis à madame Mativon que je connais cet âne et qu’il s’appelle Charel, elle me répond : « Oui c’est Charly. »
Une fois les ânes attachés à leurs laisses dans l’immense cour de la propriété, nous montons nos affaires dans la chambre qui nous été attribuée et, une fois n’est pas coutume, nous ne profitons pas des couverts sur le lit et dévoilons nos sacs de couchage. Madame Mativon nous informe que le repas sera pris vers dix-neuf heures et nous pouvons dès lors prendre nos dispositions.
Je donne un coup de fil à Augy et le gérant hollandais vient me prendre. Sur le chemin en direction d’Augy, il me raconte un peu son pèlerinage à Santiago. Ce n’est cependant pas son pèlerinage qui m’intéresse le plus mais plutôt son style de conduite. A un certain moment, je lui fais doucement comprendre que nous sommes en train de traverser un village et il me répond qu’il doit faire un peu attention parce que, la semaine passée, il a été verbalisé pour avoir roulé à soixante-dix dans un village. Hey man – c’est justement la vitesse à laquelle tu sillonnes le paysage. J’ai au moins fait l’effort de le lui dire. Arrivé près d’Augy, je vois devant nous la bifurcation pour arriver au gîte et demande à mon chauffeur s’il s’y rend directement ou s’il continue encore la route. Non, non est la réponse – on va au gîte et il tourne juste après le passage d’un camion en cinquième vitesse dans la petite rue qui donne sur le village. Une fois embarqué dans cette rue, la voiture arrive évidemment au point mort et il ne lui reste plus qu’à revenir en première vitesse pour relancer la voiture. Décidément le style de conduite du Néerlandais n’est pas le mien. A en juger au bruit du moteur, il est passé en troisième sans embrayage. Merci saint Jacques – nous sommes arrivés. Je propose une rémunération pour le transport mais on me demande de mettre l’argent dans la caisse pour l’entretien du gîte. Merci encore une fois.
Voilà que j’ai deux expériences de rapatriement vers ma voiture : celle de Jacques, le ramasseur du pèlerin surmené qui conduit en vous regardant tout en parlant avec vous, et celle du Néerlandais qui veut visiblement une carte de membre supplémentaire de la maréchalerie.
Sur le chemin vers Charenton, je profite de mon téléphone monté d’origine pour donner un coup de fil à mon épouse et prendre des nouvelles. Rien de particulier – une petite nouvelle des enfants et un peu d’infos sur une sortie à Bastogne avec Karin, l’épouse de Marc.
De retour à Charenton, je fais la connaissance de Rebekka, une jeune pèlerine de la région de Brême où vit et travaille mon fils. « Moien, moien » comme on se dit bonjour dans le nord de l’Allemagne et au Luxembourg. Rebekka nous apprend qu’on dit une fois moien si on a quelque chose à se dire en se croisant tandis que deux moien est d’usage pour les personnes qui ont beaucoup de choses à se dire.
Marc a préféré se reposer un peu alors que je visite encore l’église Sain-Martin où je fais la connaissance furtive d’un couple de jeunes Parisiens, qui ont fait une petite pause avant de continuer leur route en vélo jusqu’à Saint-Amand-Montrond.
Charenton-sur-Cher a un passé historique assez chargé en commençant par son nom gaulois Carento Magus, en passant par l’abbaye féminine fondée en six cent vingt par un disciple de saint Colomban jusqu’au déclassement du canal de Berry, l’année de ma naissance.
Comme nous avons la voiture avec nous, nous profitons pour nous rendre à Saint-Amand-Montrond faire le plein de provisions dans un supermarché et aller boire un coup dans un bistrot. Rebekka nous accompagne et moien moien.
De retour à Charenton, notre estomac nous dit qu’il serait bien de lui confier quelque chose pour travailler – hélas madame Mativan n’est pas dans le coin. Une bonne heure plus tard que prévu, elle revient avec une serviette et nous dit qu’elle s’est rendue près d’une famille pour préparer un enterrement qui aura lieu demain et qu’elle se mettrait de suite à préparer le repas. Nous profitons du temps pour chercher un peu de foin pour les ânes et rencontrons Martine, une cousine de madame Mativan qui élève des chèvres, qui fait le plein de notre sac à foin. L’exploitation de Marine n’a vraiment rien d’une exploitation moderne. C’est du vieux mais très bien entretenu avec du charme et une âme qu’on ne retrouve plus dans le béton de nos jours. Une discussion s’engage très vite et notre savoir du métier passe comme une lettre à la poste. Encore une de ces rencontres avec une personne que nous ne reverrons probablement plus mais avec laquelle l’échange fait du bien tant à la personne dont nous parlons qu’aux pèlerins.
Madame Mativan vit avec sa sœur et nous prenons le repas ensemble : un potage, une salade de nouilles avec du pâté de gibier et des éclairs comme dessert. De retour dans la chambre, Marc commence aussitôt à ronfler, alors que j’ai encore un petit intermezzo avec mon estomac avant de succomber au chant de Marc le pèlerin.