LA CHATRE – NEUVY SAINT SEPULCRE
Samedi, 19 mai 2012
Jour 2
25 km
Pendant la nuit, je me suis réveillé une seule fois croyant avoir entendu un bruit. Malgré la qualité du lit qui bien entendu était différente de celle à laquelle je suis habitué, je me suis endormi aussitôt. Au petit matin, j’ai de nouveau entendu ce bruit qui a priori n’était pas dérangeant mais quelque peu bizarre. Mais oui, nous dormons dans les murs d’un ancien moulin et le bruit dont je parle était l’eau qui passait à côté des bâtisses.
Nous prenons congé de madame Pirot et la remercions encore une fois de nous avoir accueillis malgré sa grande douleur. Dans le cierge que j’ai brûlé plus tard dans l’église de Saint Bénévent l’Abbaye j’ai inclus toutes les doléances dont on nous avait fait part et autres promesses quelconques y compris une pensée particulière pour la mère de madame Pirot.
Henry et Basile qui ont bien profité pour faire le plein n’éprouvent aucune difficulté pour monter les escaliers depuis le moulin de Borgnon vers l’église de La Châtre. En passant près du boulanger du coin, Daniel achète un pain et, sur le marché, nous en profitons pour acheter quelques carottes pour les ânes.
Sur notre progression à travers La Châtre, nous devons constater que le chemin à l’intérieur de la ville est très mal signalé avec les sigles spécifiques du Camino. C’est ainsi que nous ne pouvons progresser qu’avec la description sur le guide officiel, sans lequel il aurait été très difficile de trouver les rues requises. Dans une petite rue, nous constatons avec satisfaction que la confiance règne encore si l’on est prêt à s’y consacrer. Nous voyons en effet que le boulanger a déposé deux baguettes dans une clôture, laissant ainsi à l’habitant de la maison le soin de rentrer le pain quand bon lui semble.
Nous empruntons la D41a et la laissons en direction de Vauvet pour traverser un chemin qui n’a pas encore été débroussaillé. Après avoir croisé la D927, nous continuons en direction Bellefont et La Coudrai. Un peu plus loin le signe officiel du Camino est, Dieu sait pour quelle raison, interprétable pour aller à gauche ou tout droit. Nous optons pour la première variante puisque le chemin rural est plus large de un, et de deux parce qu’il semble qu’il y ait déjà des personne qui y sont passées. Vous l’aurez deviné, c’était la mauvaise direction. Heureusement le chemin que nous empruntons donne également sur la D41, que nous devons suivre sur quelque cents mètres pour de nouveau retomber sur le chemin officiel.
Juste avant d’arriver sur le D41, il commence à pleuvoir, ce qui nous donne l’occasion de couvrir le bât et les sacoches que portent les ânes avec la bâche que nous avons coupée sur mesure avant de partir et de la fixer avec des élastiques également fabriqués sur mesure pour éviter que la bâche ne s’envole à cause du vent. Ce nouveau dispositif anti-pluie s’avère être beaucoup plus viable pour les ânes puisqu’ils avancent comme avant, ce qui n’était pas forcément le cas avec le poncho que nous avons utilisé les années précédentes. De notre côté, le parapluie suffit et comme le dit Daniel : « Il pleut trop pour ne rien prévoir pour se protéger mais pas assez pour mettre une pèlerine ».
A Vignonnet, on peut observer que la pluie a dû être abondante les jours précédents puisque le petit ruisseau est légèrement gonflé. Dans le village, nous continuons vers Montabin où nous arrivons vers midi. Côté pluie, c’est un mélange entre averse et aucune goutte n’arrangent pas les choses d’autant plus qu’il fait très lourd. A la sortie du village, nous trouvons un banc avec deux arbres – l’endroit idéal pour faire une pause-midi et laisser brouter les ânes. Peu après, se joint à nous un homme que nous avons vu travailler sur le toit d’une maison. Il nous raconte qu’il est en train de donner un coup de main à son fils qui vient d’acquérir la maison, y compris presque deux hectares de terrain pour l’équivalent de ce qu’on doit offrir au Luxembourg pour devenir propriétaire d’un are de terrain sans plus. Se joignent à nous dans la suite un homme et une jeune fille qui s’avèrent être Jack et sa fille Julia qui sont partis tous les deux pour pérégriner jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle où ils veulent arriver le jour de la Saint-Jacques. Nous échangeons quelques mots sur nos trajets respectifs et sommes surpris que l’état d’un gîte dans lequel chacun de nous a déjà séjourné ne s’est pas amélioré – bien au contraire. Comme mon site ne se veut pas être un guide dans lequel j’attribue des coquilles Saint-Jacques pour l’accueil, la propreté etc, je ne dévoile pas le nom de l’endroit mais le lecteur averti de mes récits le trouvera probablement.
A peine reparti, je dois néanmoins faire une halte pour vérifier l’état de mon petit orteil du pied droit. Après inspection je constate une petite ampoule que je soigne ce qui ne m’empêche pas de continuer la route. Ce qui m’inquiète un peu plus sont mes chaussures qui visiblement ne sont plus aussi étanches que je ne le pensais.
La pluie a cessé de tomber et, près de l’ancienne Abbaye de Varennes, nous rencontrons Jack et Julia qui ont pris place sur un petit mur pour manger. Les origines de cette abbaye remontent au XIe siècle. C’est en mille sept cent quatre-vingt-onze, alors qu’il n’y a plus que deux moines, que la municipalité de Fougerollles prend possession des lieux qui aujourd’hui sont coupés en deux lots, dont chacun appartient à un particulier.
Le soleil fait sa réapparition, et plus nous abordons la petite rivière de l’Aubord, plus les mouches et autres petites bestioles volantes qui sont nombreuses. Avant de partir, j’avais acheté dans une maison spécialisée dans l’équipement outdoor un bracelet contre les moustiques que je mets aussitôt. Le goût de la citronnelle est omniprésent et les mouches s’en vont – du moins me laissent en paix. Efficace, mais l’odeur est un peu forte quand même. Malgré les quelques gouttes qui continuent de tomber de temps à autre, le soleil l’emporte et il fait de plus en plus lourd. A Les Entes, nous passons près d’une maison sur les escaliers de laquelle dorment paisiblement quatre chats. Chacun a pris place sur une autre marche jusqu’au moment où l’habitante sort de la maison pour les chasser. Difficile à comprendre dans un lieu isolé sans les contraintes du trafic de nos villes et du va-et-vient sans fin, quand on ne se promène rien que pour savourer la vie entourée de ses animaux favoris. Acceptons les choses comme elles sont et n’imposons pas à d’autre notre façon de voir les choses.
A l’entrée de Neuvy Saint-Sépulcre, nous suivons les flèches officielles du Camino et arrivons près du gîte. Comme la porte d’entrée à la propriété n’est pas fermée, nous entrons et déchargeons les ânes. Il y a à l’extérieur une clef sur une porte qui donne dans un hall d’entrée avec cuisine au-dessus de laquelle se trouvent un dortoir. De l’autre côté, il y a également une petite porte qui elle est fermée avec un petit panneau sur lequel on peut lire de s’installer et que quelqu’un passerait en fin de journée. Quoi de plus normal pour un gîte. Comme quelque chose me semblait néanmoins bizarre dans cet endroit, j’en profitais pour donner un coup de fil au numéro indiqué pour éviter que l’on ne prenne une place qui aurait été réservée par quelqu’un d’autre, je suis tout surpris d’entendre que le gîte est fermé aujourd’hui. Comme quoi il ne faut jamais trop se fier aux apparences.
Nous voilà donc repartis pour charger les ânes après vingt-trois kilomètres pour trouver un abri ailleurs. Près de l’étang municipal, nous rencontrons un groupe de personnes qui est en train de démonter les tentes de la fête qui s’est tenue la veille. Hélas de nouveau un jour trop tard. Henry et Basile passent sans problèmes à travers le petit ruisseau pour les rejoindre. Comme la vie est à ceux qui osent, nous voyons une fois de plus que la demande adressée à un groupe déclenche forcément une volonté d’aide chez l’un ou l’autre. Et c’est justement ce qui se passe : un premier réfléchit, s’adresse à un deuxième qui connaît quelqu’un pour aboutir à l’adjointe du maire qui se trouve sur les lieux. Elle donne quelques coup de fil, s’en va en voiture et revient nous dire d’aller au camping de l’autre côté du plan d’eau où quelqu’un viendrait nous rejoindre. Facile quoi : il faut savoir comment se déroulent les choses et avoir confiance dans les gens. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans un chalet réservé en principe aux pèlerins avec un Crédential, sur un camping municipal qui à la fin du mois de mai est encore fermé au public.
Neuvy Saint-Sépulcre qui accueille sur ses terres la Basilique Saint-Etienne, anciennement collégiale de Saint-Jacques le Majeur, est un des jalons sur les quatre routes empruntées au Moyen Age par d’innombrables pèlerins. Elle est inscrite par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial des chemins de Saint-Jacques en France aux fins qu’ils soient conservés au bénéfice de l’humanité. Au retour de la croisade, la Basilique a été construite par Eudes de Déols sur le modèle du tombeau du Christ.
En fin de journée, nous décidons de retourner au village visiter la basilique et surtout trouver un restaurant, ce qui ne s’avère pas aussi facile. Finalement, nous tombons sur une terrasse en face de la mairie où l’on affiche également « restaurant ». Nous prenons place sur la terrasse et réservons une table pour plus tard. Parmi tous les gens qui passent de l’autre côté de la rue, Daniel et moi parions sur ceux qui s’avèrent des pèlerins potentiels et ceux qui sont des locaux qui se déplacent tous en direction de la petite épicerie du coin.
Une fois à table dans la pièce principale du café-restaurant, il s’avère que notre sélection pèlerins-locaux s’est avérée exacte. Tous les pèlerins sont en effet regroupés dans une partie de la pièce et nous faisons connaissances : Jack et Julia que nous avons déjà rencontrés en cours de route, Xavier le retraité du département des eaux de Nancy qui apprendra le lendemain ce que les intempéries ont fait à sa ville, deux couples de Néerlandais qui se déplacent à vélo et Marcel originaire de la Bretagne, qui a pris place à une table avec une connaissance et une personne d’origine africaine se présentant comme le prêtre de Neuvy. Il est tout étonné quand je lui réponds que j’étais convaincu qu’il était prêtre étant donné qu’il porte sur son revers un petit signe révélateur visible d’appartenance à une couche professionnelle – une croix ne trompe pas, du moins pour moi. Par la suite il m’apprend qu’il vient du Sénégal et est tout étonné que je connaisse un village sénégalais tout proche de lui. Mboro est en effet un village dans lequel la fédération scout à laquelle j’adhéré a entrepris un projet de coopération longue durée.
Une fois rentrés au gîte, nous prenons toutes les précautions pour pouvoir mettre les ânes dans la bétaillère si jamais il devait commencer à pleuvoir. Au vu de la couleur noir violet du ciel, ce ne devrait être qu’une question de quelques heures. A peine une heure plus tard, il pleuvait et nous avons chargé les ânes dans la bétaillère en commettant cependant une erreur de taille : charger les ânes dans le noir alors qu’ils voulaient encore brouter n’était pas une bonne idée. Si une telle opération se fait sans problème alors qu’il fait clair, elle a dû les effrayer un petit peu dans le noir. Henry a protesté et frappé un coup du pied alors que Daniel n’avait pas encore eu le temps de prendre le recul nécessaire. A voir son pied, je nous voyais déjà devoir abandonner après deux jours. Heureusement, il a eu le réflexe de retourner aussitôt dans le gîte et prendre des glaçons dans un congélateur que je n’avais même pas vu pour les appliquer sur l’impact de Henry. C’est probablement ce réflexe qui a sauvé notre périple de cette année et bien entendu le pied de Daniel. Bien vu Daniel.