PALO
ALLANDE – A MESA
Dimanche,
23 septembre 2018
Jour
5
24 km
Pour le dire d’emblée, cette
étape a été l’étape reine de ma pérégrination de cette année pour m’exprimer
dans des termes de cyclistes.
Après avoir examiné le profil
nous avions convenu d’avancer chacun à son rythme comme d’habitude et que le ou
les premiers arrivés attendraient quelque part celui ou ceux qui suivent. Raymond
2 et moi ont la même cadence, il s’en suit que Raymond passe soit devant soit
derrière nous.
A la sortie de Palo Allande le
chemin longe la AS14 pour bifurquer peu après à la gauche et c’est parti pour
sept kilomètres pour passer de cinq cent vingt-quatre mètres à mille cent
quarante-six mètres d’altitude le tout sur un chemin très accidenté.
Avant de quitter la route nous
inhalons encore l’odeur du purin fraîchement réparti dans les prés où je me demandais
qui a eu le courage de s’y aventurer avec un tracteur auquel est attaché une
citerne dont le point d’équilibre varie en fonction du degré d’inclinaison de
la pente et du pourcentage de contenu restant dans la citerne. Quoi qu’il en
soit il l’avait fait et aucune machine agricole ne se trouvait dans le ravin.
Toute la vallée était engrossée par ce résidu de l’agriculture. Fait est qu’il
faut bien qu’on le mette quelque part. Comme je l’ai déjà écrit dans un autre
endroit : celui qui veut se servir de l’industrie agro-alimentaire doit
également accepter ce volet – il n’y a pas photo.
Devant nous deux couples français
avec à l’arrière une femme qui nous dira quelques jours après qu’elle a dépassé
les soixante quinze ans qui marche à son rythme et qu’à ce moment j’avais tout
simplement sous-estimé – qu’elle m’en pardonne après coup. Même si elle avait
fait transporter son bagage, il faut le faire – chapeau.
Tout près de El Mazu le rio Nison
passe à travers les prés. Ce qui est cependant intéressant est le petit canal
en amont et parallèle au rio. On y récupère l’eau qui descend de la montagne
probablement pour alimenter un ancien moulin ou pour irriguer les prés et les champs.
Dans le hameau Penaseita juste
avant que les choses sérieuses ne commencent nous croisions un pèlerin qui était
en train de vider l’ensemble de sa gourde d’un coup alors qu’il affichait déjà
des signes d’extrême fatigue. Sachant aujourd’hui qu’à plus de quinze
kilomètres il n’y avait plus moyen de se ressourcer en eau, il avait
probablement dû se réalimenter dans le ruisseau qui descend de la montagne sans
savoir si cette eau est buvable ou non.
Presqu’à la même hauteur nous
croisions un homme en tenue de chasse vêtu d’une veste fluoressante et je lui
demande s’il y a une « caza » (une chasse) dans le coin. « Si si
« me répond-t-il « pero mas alto » et montre de la main. Bonjour
les dégâts, c’est justement le chemin en direction duquel nous sommes en train
de monter.
Pendant toute la montée pour
accéder au Puento del Palo Raymond 2 et moi marchions ensemble, séparés tout au
plus d’une centaine de mètres. Nous fonctionnons en effet selon le même
principe qu’il vaut monter d’un coup, quitte à changer de cadence en cours de
route, que de s’arrêter plusieurs fois et bruler trop de grains pour
redémarrer. Si à travers la forêt nous étions passés sur des pierres couvertes
de mousse, elles avaient cédé la place à du gravier une fois la crête dépassée
où les arbres poussent encore. Sans l’abri d’un quelconque arbre il vaut mieux s’y
s’aventurer au petit matin qu’à midi ou encore plus tard à cause du soleil qui
peut vous freiner voire vous forcer à abandonner. Outre des pèlerins qui y passaient,
le chemin est également un chemin d’alpage et les vaches laissent leurs
empruntes.
En haut du Puente del Palo, mère
nature vous récompense pour l’effort consenti lors de la montée. Raymond nous
rejoint douze minutes après et nous profitons pour faire une pause en commun et
manger un petit quelque chose, question de compenser les grains brûlés. Pendant
ce temps, outre le merveilleux paysage, nous découvrions l’arrivée de bus et de
voitures qui s’arrêtaient pour permettre à ses occupants de faire les mêmes
photos que nous. Des cyclotouristes éaient également au rendez-vous et portaient
les mêmes signes d’efforts que nous. Pour faire des photos de groupes et
prouver qu’on était vraiment sur place nous nous donnions volontiers à un
échange de portables pour pérenniser le tout.
Dans la descente qui donne sur
Montefurado, Raymond 2 me demandait d’aller en premier étant donné que je
descends un peu plus vite. Il préfèrait soigner son genou et éviter de se payer
une entorse. Toute cette descente qui continue jusqu’à Lago et s’étire sur cinq
kilomètres porte sur un dénivelé de trois cent mètres est plus qu’inintéressante
– on brûle juste des kilomètres. Montefurado mérite néanmoins d’être mis en
exergue puisqu’on voit les quelques maisons au loin et le tout donne
l’impression d’avoir devant soi une sorte de maisonnettes qu’on voit à Machu
Picchu.
Parlant de descente et sachant
que chacun se chausse comme bon lui semble, que se soit avec des tiges hautes
ou basses, il est néanmoins conseillé si non impératif d’acheter une pointure
en plus de celle qu’on chausse normalement. En procédant de la sorte le point
de freinage lors des descentes est au niveau du pied et non pas au niveau des
orteils. Tant qu’on parle de chaussures : le conseil pour les chauffeurs
comme quoi il faut adapter sa vitesse et ses pneus aux conditions
météorologiques vaut sous une variante légèrement différente également pour les
randonneurs. Il faut adapter ses semelles au profil du terrain dans lequel on progresse :
souple, demi rigide ou rigide. Je déconseille vivement d’affronter le Camino
avec des semelles souples. Finalement et je me répète au niveau des
chaussettes : depuis que je chausse du pur synthétique et non plus des
exemplaires avec un tiers de laine, mes pieds ne transpirent plus et je suis à
l’abri d’ampoules.
Tout près de Lago le chemin passe
devant le cimetière local avant qu’on n’accède au village – un mur. Sur tout le
Primitivo nous sommes passés par des endroits avec des montées spectaculaires
mais les quelques centaines de mètres à l’entrée de Lago l’emportent. A en
juger notre estimation à nous trois on y dépasse les vingt-cinq pourcents.
Le plateau juste avant Berducedo
était particulièrement marqué par l’extrême sécheresse de cet été et le passage
de la fermière avec son tracteur pour porter de l’eau aux vaches, malgré le
fait qu’elle a roulé lentement, a cependant soulevé de la poussière qui venait
nous souhaiter la bienvenue. Contrairement à ce que les paysans ont pu rentrer
cette année au Luxembourg, leurs confrères dans cette partie de l’Espagne ont
probablement dû se contenter avec une seule coupe et commencer à alimenter le
cheptel plus tôt que prévu.
A Berducedo il y a des albergues
et des cafés restaurants. C’est donc tout à fait naturel qu’on y avait
rencontré des visages connus dont un certain nombre avait sorti le drapeau
blanc pour cette journée. Alors que nous cassions la croûte sur une terrasse un
chien difficilement attribuable à une personne présente est venu nous saluer.
Pour voir s’il était peureux ou non, Raymond 2 lui avait donné une tranche de
jambon qu’il s’est empressé d’aller déposer de l’autre côté de la rue sans se
soucier du trafic au moment de croiser la route. Il se peut néanmoins qu’il y a
cherché un endroit tranquille pour la manger. Pendant ces arrêts à midi notre
consommation de liquide était normalement un café con leche ou tout au plus ce
breuvage brun aux multiples morceaux de sucres pour les Raymond et Raymond 2.
Le nombre de personnes qui se donnent à midi à une ou plusieurs cervezas n’est
pas négligeable. Personnellement je ne pourrais plus marcher par la suite –
d’autres le peuvent.
Comme tous les ans je voyais au
moins un âne sur mon chemin, question de penser à mes fidèles compagnons aux
longues oreilles sur la Voie de Vézelay. Le fil entre moi et un âne semble bien
passer, certains diront qu’entre frères on s’entend bien. Quand je pense à
l’intelligence que ces animaux mettent au jour, je me sens flatté par de tel
propos. Celui que j’ai pu caresser à la sortie de Berducedo aurait néanmoins
besoin d’urgence qu’on lui traite les sabots.
La descente vers A Mesa s’est
malheureusement faite sur le goudron de la AS14. Arrivé à bon port dans
l’Albergue Miguel on découvre une auberge flambant neuve avec deux dortoirs
mixtes pour seize personne chacun, trois douches et trois WC pour chaque
compartiment y compris un rangement fermable à clef par personne le tout à
quinze euros. A l’arrivée dans un hôtel ou une albergue on demande normalement
une pièce d’identité au moins celle de celui qui a réservé. Dans d’autres
établissements on demande une pièce d’identité à tout le monde – tel fut le cas
dans l’Albergue Miguel qui est un établissement familial. C’est la doyenne qui
nous recevait et essayait en vain de se servir de l’app spécifique du portable pour
copier les cartes d’identités. Elle a essayé à plusieurs reprises, une fois
l’angle pour capter l’image était trop incliné, l’autre fois elle tremblait
lors de la prise d’image, puis la distance entre la pièce à copier et le
portable était trop éloignée ou trop proche et ainsi de suite. Un peu fatigué
avec une énorme envie de passer au plus vite sous la douche on aurait bien aimé
lui donner un coup de main mais on était du mauvais côté du comptoir.
Finalement elle a commencé à copier le tout à la main en confondant les prénoms
et les noms et bonjour les dégâts pour ceux d’entre nous qui ont deux prénoms –
vous le devinez certainement : nous avons tous les trois un double prénom.
C’est ainsi que mon identité s’est résumée à mes deux prénoms, donc une autre
personne que celle qui avait réservé. Les « Millepäteren » mettraient
probablement une heure au grand maximum pour fabriquer un support pour insérer
le portable dans une rainure avec un repère pour déposer la carte d’identité
mais on ne dispose pas de l’app pour tester l’efficacité – ce serait quand même
un beau cadeau.