AROUE - OSTABAT
Samedi, 19 septembre 2015
Jour
11
26 km
Quand nous quittons la ferme
Bohoteguia vers sept heures trente il fait encore froid et le soleil tarde à se
lever. Le GR 65 passe au centre du village près de l’église Saint-Etienne et
après une très longue ligne droite le long de la D242 il prend à gauche à
l’abri du trafic.
Juste avant que le chemin ne
descend dans la forêt le spectacle qu’offre la vue sur les Pyrénées au lever du
soleil fait arrêter tout pèlerin et l’anime à sortir son appareil photo. L’evergreen
de Satchmo me vient spontanément en tête quand il conclut : « Yes, I
think to myself what a wonderful world ».
Au départ nous avions envisagé de
monter en fin de parcours éventuellement encore jusqu’à Roncesvalles. Nicolas
m’informe néanmoins qu’il terminera quoi qu’il arrive à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Le petit problème avec ses pieds lui fait encore un peu de soucis.
Un pèlerin qui est en train de
scruter le terrain pour cueillir des champignons me raconte qu’il fait partie
d’un groupe de Lyon et que quelques-uns d’entre eux auraient de sérieux
problèmes de santé dont un cardiaque. Opéré depuis peu son médecin lui avait
imposé quelques exercices dont la promenade. Ce serait apparemment le seul parmi
eux en bonne condition physique. Tous les autres du groupe seraient partis sans
trop de préparation et seraient en train de payer les frais. Entre autres son
épouse : sur dix orteils elle se serait permise le luxe d’avoir neuf
cloques.
En cours de route nous croisons
les finlandais qui font une pause. Les deux pèlerins ont enlevé les chaussures
et jouissent du soleil et du paysage. Arrivé à leur hauteur la femme que semble
très fatiguée me dit : « I think we stay here ».
Avant d’entamer cette avant
dernière étape, nous avions convenu de ne pas partir sur la variante qui passe
par Saint-Palais. En procédant de la sorte nous allons faire une économie de
trois kilomètres. C’est ainsi que nous arrivons vers midi à Uhart-Mixe à plus
ou moins un kilomètre de Larribar. C’est ici près de la stèle de Gibraltar que se
réunissent les trois voies : celle de Tours, celle de Vézelay et celle du
Puy. A l’entrée du village nous passons près d’un moulin et je suis étonné de voir
sur le mur qui y donne accès le logo de l’ETA. Sur la terrasse devant le
restaurant Duhalde Ostatua nous rencontrons plein de pèlerins qui ont également
opté pour le raccourci. Chose intéressante : il y a un panneau sur les
tables comme quoi les pèlerins peuvent y manger LEUR casse-croûte. Nous l’avons
fait et commandé un café et une tarte basque faite maison. Pendant que nous
mangeons se termine un service religieux en face à l’église Saint-Pierre qui se
révèle être un mariage. Incroyable tout le monde qui sort de l’église et pose
pour la photo commune, plus ou moins une centaine de personnes.
Dur dure pour reprendre le chemin
après cette pause. D’emblée ça monte – seul réconfort : nous sommes à
l’abri du soleil puisque le chemin passe à travers une forêt. Ici et là des
signes d’autres pèlerins que sont passées. Sur un arbre deux chaussures
complètement abimées sont accrochées avec les lacets. Sur l’une l’ancien
propriétaire a écrit BUEN et sur l’autre CAMINO. De quoi encourager ceux qui y
passent.
Peu de temps après nous arrivons
à hauteur de la chapelle Saint-Nicoals-d’Harambeltz avec son clocher
trinitaire. L’intérieur serait un chef d’œuvre – la porte est malheureusement
fermée. Sur un chemin qui par temps de
pluie serait complètement boueux, nous descendons dans la forêt. Même par temps
sec, comme aujourd’hui il faut y aller avec prudence. Nous continuons sur le GR
65 et à la sortie de la forêt nous avons une première vue sur Ostabat avec tout
au loin à la sortie du village une ferme isolée. Par plaisanterie je la désigne
de mon bâton de pèlerin et dis : « Voilà notre gîte de ce soir ».
Sur ce Nicolas me répond « Pourquoi tu veux nous démoraliser en cette fin
de journée ? » Sans le savoir, j’avais visé juste et pour arriver au
gîte ce sera encore loin.
Juste avant Ostabat, le GR 65
prend à gauche par un chemin dont le parcours est un cauchemar : très
étroit, parsemé de pierres tranchantes et pour le surplus quelques arbustes
avec des épines qui vous incitent à prendre une position plus basse par
endroit. Bonjour les dégâts par temps de pluie : de un à cause des pierres
glissantes et de deux pour la protection anti-pluie du sac-à-dos au contact
avec les épines. Pour arriver au centre du village il faut monter une ruelle
qui ressemble comme si elle avait soufferte lors de la dernière intempérie – un
bon tiers a disparu. Arrivé au centre et en l’absence d’une indication sur
l’adresse exacte de notre gîte nous décidons d’entrer dans le seul café et nous
nous laissons tenter par la recommandation de l’exploitante – un cidre local.
Il est buvable mais amer – comparé au cidre breton que nous avons plutôt
l’habitude de boire chez nous il est vraiment amer. Il semble que la différence
de goût entre les deux variantes provient pour le premier d’une seule
fermentation alors que le local passerait par deux fermentations. Interrogé sur
la ferme Gaineko, elle nous informe qu’il faut encore marcher pendant au moins
trois quart d’heure puisqu’elle se situe à la sortie du village. A en juger le
visage de Christiane je me demande si elle ne réfléchissait pas sur le sort
réservé au Moyen Âge à l’apporteur d’une mauvais nouvelle.
Quoi qu’il en soit, prenons le
mal en patience et attaquons la dernière ligne droite de la journée. C’est
Lucie qui nous accueille et nous montre les locaux ainsi que la chambre dans
laquelle nous dormirons. Après avoir pris une douche, je fais la connaissance
de deux autres personnes qui dormiront dans notre chambre – deux Lorrains sans
savoir qu’il s’agit des ronfleurs de l’an deux mille quinze.
Alors que je me reposais déjà sur
la terrasse et consultais la description de l’ultime étape de cette année,
Louisette et Bernard arrivent au gîte. Quand je les vois je suis effrayé – des
pèlerins épuisés et vidés. Louisette me dit de suite : « Je n’en peux
plus ». Ils ont fait le détour par Saint-Palais et ont deux kilomètres de
plus au compteur puisqu’ils dormaient à Aroue alors qu’au petit matin nous
avons dû faire un kilomètre supplémentaire depuis la ferme Bohoteguia pour
arriver à Aroue.
Lors du repas en soirée Lucie et
son aide ont dressé quarante-trois couverts. Mais avant de manger, Bernard,
l’époux de Lucie fait son apparition. Chemise rouge, béret basque, un rapport
poids-taille un peu en sa défaveur mais plein de bonne volonté, de charisme et de
savoir comment accueillir ses clients. Immédiatement il se met à chanter avec
un timbre qui remplit la pièce. Du basque, de la traduction en français, des
chansons de son pays – le Pays Basque et pas la France comme il le précise « parce
que les gens d’ici aiment leur pays » – suivi de chansons populaires et de
l’incontournable chanson du chemin de Saint-Jacques. Quelle ambiance – bravo le
chanteur.
La nuit sera cependant tout
autre. Nos pèlerins lorrains au nombre de trois sont à deux dans notre chambre
et l’un se trouve dans la chambre à côté. Dès le début de la nuit les deux dans
notre chambre commencent à ronfler à fonds la gamelle. Aussitôt je mets mes bouchons
d’oreilles – pas de résultat. Seul moyen pour dormir – surfatigue ou des
exercices de respiration qui me permettent quand-même de somnoler un petit peu.
Une pèlerine de Cannes avec laquelle j’étais marché un peu pendant la journée
est venue également un peu plus tard et a décroché le lit juste en face des
ronfleurs. Au petit matin quand nous en parlons, l’un des ronfleurs essaie de
nous donner des explications scientifiques pourquoi on ne peut rien faire ou
autrement dit pourquoi les autres doivent subir son bruit. La dame de Cannes
s’élance ouvertement à quoi j’avais pensé. « Une nuit de plus »
s’élance-t-elle « je me lève puisque de toute façon tout le monde ne peut
pas dormir, j’allume la lumière et je les réveille. S’ils recommencent de
ronfler par après – rebelote jusqu’au moment où ils comprennent que le repos de
tous l’emporte sur le confort d’une ou de deux personnes. »
« Plus jamais un
dortoir » s’écrie Christiane qui n’a pas bien dormi de manière à ce que
nos ronfleurs comprennent à quoi s’en tenir avec elle.
Très frustrés nos ronfleurs
lorrains disent que leur ronflement est visiblement la une du matin et ne
comprennent pas la mauvaise humeur des autres. Quand je vois au petit déjeuner
Louisette et Bernard je constate que Louisette a quelque chose sur le cœur.
« Tu sais Roland » me dit-elle « J’étais fatiguée et épuisée, mais
nous on a eu un ronfleur qui a réveillé tout le monde «. Bien venu au club – le
troisième a fait sa partie du travail. Nicolas qui est un ronfleur diplômé a
fait le nécessaire pour faire en sorte que d’autres personnes n’en souffrent
pas. Sur internet il a trouvé un appareil pour mettre dans la bouche en soirée
de sorte que son ronflement se limite désormais à un petit sifflement – gud
gemeet Nikela.