Charenton du Cher - Bouzais - Camino

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CHARENTON DU CHER - BOUZAIS
Jeudi, 2 juin 2011
Jour 4
22 km
 
Le soleil est déjà là quand je me réveille et Marc est également au rendez-vous. Avant de prendre une douche, nous descendons voir comment se portent les ânes et les laissons brouter avec en supplément un peu de foin de Martine.
Avec l’expérience, nous avons appris à remplir dans un temps raisonnable nos sacoches, dans le respect d’un bon équilibrage au niveau du poids pour éviter que le bât ne penche d’un côté. Par précaution, nous vérifions quand-même avec une petite balance si le compte y est – parfait.
Autour de la table du petit déjeuner, nous retrouvons Rebekka qui a décidé de se joindre à nous pour une partie de la journée sans doute pour pérégriner un peu avec des ânes. Pour le petit déjeuner, tout y est – presque – le pain suffit à peine alors qu’une boulangerie est en face. Maintenant je comprends mieux madame Mativan quand elle m’a confié la veille qu’actuellement elle a beaucoup de choses à faire. Puis vient encore la fille de la patronne avec l’histoire du Nutella. Dans nos bagages, nous avons des échantillons de Nutella qui, à mon avis, suffisent largement pour tartiner un petit pain. Madame Mativan nous apprend que sa fille consomme des quantités de cette pâte au chocolat. A en juger sa petite taille, on ne le dirait pas. Se trouvent également sur la table un pot d’une taille moyenne qu’on trouve dans tous les supermarchés plus un autre récipient de cinq kilogrammes de Nutella – la consommation pour elle d’un mois quoi – du jamais vu.
Si madame Mativan est actuellement un peu en stand-by, sa fille a des idées qui méritent une analyse SWOT et accessoirement un petit businessplan avec de vraies chances de réussite. Elle envisage de rénover une partie de la propriété et la transformer en un centre de conférence et/ou séminaires avec possibilité de séjour sur place. Compte tenu de la place à disposition et du potentiel client à une heure et demie de train de Paris, ça mérite une étude plus approfondie. En associant quelques métiers locaux dans le projet, je dirais que c’est du réalisable – mais il faut oser sortir du cadre et des sentiers battus de ces villages un peu endormi. Le projet de la fille de madame Mativan me rappelle ces sœurs que nous avions rencontrées à Sarry, qui ont réalisé un projet similaire dans les arts avec la différence que leur business fonctionne déjà.
Nous prenons congé de madame Mativan qui me dit venir me prendre en soirée à Bouzais. Avant de quitter Charenton-du-Cher, nous achetons du pain et des croissants dans la boulangerie en face et, comme la caserne de la gendarmerie se trouve à deux pas, Marc et Rebekka gardent les ânes alors que je m’y rends pour avoir un tampon sur le Credential. Il n’y a qu’un seul gardien de la paix sur place qui est pris par une garde à vue, mais trouve néanmoins le temps de me donner satisfaction. Lorsque nous nous apprêtons à reprendre la route, le gendarme nous fait un signe et demande si on pourrait venir avec les ânes du côté caserne. Qu’est-ce qu’il nous veut ? Heureusement tous les papiers nécessaires sont dans la sacoche – on verra bien. Arrivés de l’autre côté de la rue, nous comprenons vite la raison de l’appel – une femme et deux enfants en bas âge attendent pour caresser les ânes.
Marc est enseignant dans le secteur public alors que moi je suis responsable formation dans le privé. Je donne néanmoins encore régulièrement des cours pour rester en contact avec la base. Nos vues sur la gestion d’une entreprise et l’effort qu’on doit être prêt à y investir se rejoignent dans les grandes lignes. Si Marc est un peu plus inquiet au sujet de l’avenir économique, je vois les choses avec un peu plus de recul. La différence de nos appréciations résulte probablement de son passé dans le privé, dans la mesure où il travaillait pour un groupe international alors que je travaille pour un groupe luxembourgeois, où toutes les décisions sont prises sur site. Entre Marc et moi il y a quand même une différence de taille : rien que pour les congés d’été en tant qu’enseignant dans le public. Il est contraint de placer son congé principal de huit semaines entre le quinze juillet et le quinze septembre – pauvre Etat avec si peu de flexibilité envers ses salariés. En contrepartie, il bénéficie gracieusement d’un temps de repos de huit jours à la Toussaint, quinze jours à Noël, huit jours au Carnaval, quinze jours à Pâques et huit jours la Pentecôte sinon – eh oui-il n’aurait pas pu partir avec moi sur le Camino. Saint Jacques soit loué que mon congé de trente-cinq jours sur l’année, jours de repos et d’ancienneté compris, ne me pose pas tant de problèmes. Cette énumération est du classique et les enseignants du public le savent – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils nous disent que rien ne nous a empêché en son temps de prendre la même orientation. C’est vrai, mais il faut tout même un peu de Luxembourgeois dans le privé.
Nous voilà de nouveau à trois – soit à cinq avec les ânes et nous nous dirigeons en direction du canal. En cours de route, Rebekka raconte un peu ce qu’elle fait et qu’elle a l’intention de reprendre les études pour décrocher un diplôme.
A hauteur de l’ancienne écluse près de Boutillon, nous rencontrons un retraité vêtu d’un short, d’un pull et d’une casquette dans le look marin. Plus loin un pêcheur qui s’est rendu près du canal avec son motocycle, auquel est attachée une petite remorque. A voir tout le matériel qu’il a mis en place, il faut bien une remorque – rien que quatre lignes de pêche – dans ces conditions il faut bien que ça morde. Près de Gâteau, les ânes deviennent un peu nerveux car nous nous approchons d’un centre équestre. Au loin, nous voyons deux filles qui pensent visiblement que je raconte n’importe quoi quand je leur dis qu’elles feraient mieux de bien se tenir en selle puisque les chevaux ont peur des ânes. Elles ont fait le choix d’ignorer ma parole bienveillante et en prime ont le plaisir de savourer un départ en cavale de leurs chevaux.
Arrivés à l’entrée de Saint-Amand-Montron, nous décidons de contourner la ville pour rejoindre Bouzais. Pour ce faire nous quittons le canal à hauteur du Petit Marçais et en profitons pour faire une petite pause près du pont qui relie Le Breuil au Petit Marçais. Quelques mètres plus loin, il y a un deuxième pont qui nécessiterait une cure de rajeunissement, au même titre qu’un réverbère auquel sont attachés plusieurs câbles électriques. A voir ce réverbère, je peux facilement m’imaginer qu’il peut être la cause d’une coupure d’électricité à la suite d’une tempête ou, en hiver, si un des réverbères ou poteaux tombait par terre. J’estime le plan d’inclinaison de celui devant lequel nous sommes assis à deux heures.
Avant de nous séparer, Rebekka demande à chacun de nous de lui écrire quelques mots dans son carnet de route. Le Camino de Rebekka s’arrête en effet à Saint-Amand-Montron – au revoir Rebekka et merci de nous avoir accompagnés une partie du chemin et fais attention à toi. Rebekka a le même âge que ma fille cadette. Même si j’ai pleine confiance dans le Camino, je n’apprécierais pas qu’elle y parte seule.
Il fait lourd et le paysage n’offre pour l’instant rien d’extraordinaire. A cette heure juste après la pause midi, les ânes avancent comme d’habitude un peu lentement. Près de Colombiers, nous prenons un petit chemin forestier à hauteur d’une piste de karting, qui accueille pas mal de compétitions françaises et internationales. Pour l’instant, c’est cependant le calme complet.
Comme ce chemin se prête bien pour marcher côte à côte, nous parlons un peu de tout et n’importe quoi et apprécions l’absence d’un laptop, TV et journal. J’interroge Marc sur son recours multiple à son téléphone et j’apprends qu’il rédige des SMS pour envoyer à une sélection de ses connaissances ses impressions sur le Camino. C’est du just in time alors que moi je rédige en décalé.
On serait curieux de savoir ce que font nos épouses et ce qu’elles penseraient à nous voir maintenant. Comme on ne verra probablement pas le moment où elles nous accompagneront quelques jours sur ce chemin mythique, Marc propose de prévoir une sortie pendant un week-end avec les ânes sous forme de randonnée gastronomique. Ainsi nos épouses pourraient nous rejoindre en soirée pour manger ensemble, se reposer le lendemain, découvrir la région pendant la journée et tester un autre restaurant en soirée. Adjugé de mon côté – pour le reste nous annoncerons la bonne nouvelle si l’occasion se présente.
A Drevant, nous enjambons le Cher sur un pont très étroit avec une longueur non négligeable qui ne laisse passer qu’une seule voiture à la fois. Comme il a y une voiture qui vient d’arriver de l’autre côté du pont, nous adaptons notre rôle de conducteur d’animal tel qu’il est prévu au Code de la route et first arrived – first served. Arrivé de l’autre côté du pont, nous remercions néanmoins le chauffeur qui attendait pour sa patience. Comme les ânes sont très inquiets par l’arrivée subite de mouches, nous décidons de ne pas visiter l’amphithéâtre de Drevant, connu pour l’ensemble des activités religieuses qui s’y sont déroulées dans le temps.
Le ciel est devenu un peu menaçant et il commence à faire très lourd. Ce phénomène atmosphérique y est probablement pour quelque chose puisque Henry et Basile avancent très lentement. La montée vers La Groutte n’arrange pas les choses mais une fois arrivé sur le plateau, ils retrouvent leur rythme de croisière. Au lieu d’aller visiter l’ancien four à Chaux, nous laissons brouter les ânes avant d’attaquer la dernière ligne droite de la journée.
A l’entrée de La Roche, nous passons en haut du village près d’une série de maisons de construction récente et bien entretenues. A en juger les alentours et les mesures de prévention protection, nous partons du principe qu’il s’agit de jeunes retraités mais nous n’en avons pas la preuve. A voir le type de construction et dans une logique comparative par rapport au standard des maisons du coin, nous pensons ne pas être trop loin de la réalité. Sur tout le trajet d’aujourd’hui, nous n’avons pas rencontré grand-monde. Comme tous les ans, l’Ascension est un jour de repos en France, comme chez nous au Luxembourg. Beaucoup de voitures dans les rues et devant les maisons – mais pas un chat – rien, niente.
Vers seize heures nous arrivons à Bouzais. Comme nous avons contourné Saint-Amand-Montrond par ou passe la Camino, l’entrée dans le village n’affiche nullement la localisation du gîte. Saint-Amand-Montrond se trouve à trois heures en venant de La Roche. En estimant que le gîte ne se trouve pas sur la D951 qui est assez fréquentée, nous continuons tout droit. La petite rue sur laquelle nous nous sommes engagés descend très fort en direction de l’église Saint-Roch. Espérons que nous ne devons plus la remonter en cette fin de journée. Oh c’est bien ici – «  Voilà le panneau du Camino » s’écrie Marc. Comme le village est relativement petit la chance de tomber juste était assez élevée mais on ne sait jamais.
Le gîte du Camino à Bouzais se trouve près du petit pont qui passe au dessus de La Loubière et appartient à la Fränkische Sankt Jakobus Gesellschaft de Würzburg en Allemagne. Arrivés sur place, nous faisons la connaissance de Gerd, un employé de banque en Bavière qui démarre son périple de cette année à Bouzais. Comme nous avions peu mangé à midi, nous profitons du banc devant le gîte pour manger et invitons Gerd à se joindre à nous, étant donné que le gîte n’est pas encore ouvert. Herny et Basile ont été attachés chacun à un des arbres à l’ombre près de La Loubière – ils se reposent d’abord et commencent à brouter plus tard.
Arrive une dame qui se présente comme étant Gréta, une Flamande de service cette semaine au gîte. Elle nous informe que le gîte a quatre lits mais qu’elle a accepté plus de monde – «Je ne peux pas refuser quelqu’un » nous dit-elle. « Je fonctionne comme ça ». A la rigueur, on dirait qu’il s’agit d’une noble attitude de faire en sorte que chacun ait au moins un toit au-dessus de la tête. « Les premiers quatre auront un lit et, comme vous trois êtes les premiers, vous serez servi ». Plus tard, elle nous informe qu’il y aura encore quatre autres personnes qui vont venir et que le frigo du gîte est vide. Sachant qu’elle est là depuis deux jours avec sa voiture, Marc et moi nous nous demandons comment on peut gérer un gîte dans des conditions pareilles. On ne peut quand même pas partir du principe que tout le monde a sur soi une cuisine de fortune ambulante, comme nous avons la chance d’en avoir une grâce aux ânes qui la portent. Le prix du gîte doit quand même offrir en contrepartie un minimum de quoi se nourrir. Nous voilà séparés de quelque quarante kilomètres d’un autre gîte géré temporairement par un couple de Néerlandais, qui avait pris soin de prévoir le minimum de quoi nourrir un pèlerin.
Madame Mativan est au rendez-vous à dix-sept heures et me ramène à Charenton pour reprendre la voiture. De retour à Bouzais, je fais la connaissance de Pierre, Jean-Luc, Jean-Pierre et Claude, les autres pèlerins qui viennent d’arriver. Ces quatre pèlerins se sont rencontrés en cours de chemin et ont décidé de faire quelques jours un bout du Camino ensemble. Pierre a soixante-treize ans avec le look de quelqu’un qui a soixante ans – originaire de Marseille, il habite à Genève. Jean-Pierre est chirurgien à Paris. Claude est informaticien et vient également de Paris. Jean-Pierre est belge avec un passage dans beaucoup d’endroits du monde – vers l’extérieur, il est très cool mais de temps à autre cherche également un coin pour se retirer. Lors de l’apéritif, Jean-Pierre nous a fait part de quelques dictons de pèlerins que je ne connaissais pas encore : pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, pluie du soir appelle au dortoir.
Gerd, qui n’a jamais de sa vie conduit un âne à la laisse, est preneur pour m’accompagner à conduire Henry et Basile dans un pré en face du gîte, qui appartient à une dame qui vient de perdre son mari il y a quelques mois et à qui j’avais demandé l’autorisation à l’avance. J’avais dit que pendant l’Ascension tout le monde était au repos – oui - sauf une personne. Un monsieur d’un certain âge qui vient justement de tondre le pré dans lequel nous allons mettre les ânes. A l’observer, il mettait plus d’un quart d’heure pour attacher la faucheuse au tracteur et, comme il s’agissait de la deuxième coupe, il n’y avait pas de danger pour les ânes parce que l’herbe venait justement d’être coupé et ne se trouvait pas déjà à terre depuis une ou deux journées.
Quand les quatre autres pèlerins avaient téléphoné au gîte au courant de la journée, Gréta leur avait dit que le frigo était vide et c’est ainsi qu’ils avaient fait des provisions en cours de route. De notre côté, nous avons un peu cherché dans nos sacoches et le Belge s’est révélé être un très bon cuisinier. Après l’apéro, nous buvions encore un vin que Pierre avait acheté dans un supermarché et nous avions rajouté une bouteille de rouge acquise il y a deux jours. La vaisselle était une charge collective après quoi chacun se mettait tout doucement au lit pour peu qu’il y en eût un – si-non c’était un matelas par terre. Très vite, je me suis rendu compte que cette nuit encore il me faudrait un peu plus de temps pour m’endormir. La priorité dans ce domaine revenant à Marc qui, pour l’occasion, avait agrandi son orchestre. Pierre était le deuxième ronfleur, suivi de Gerd.
 
 
 
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