Saint Pries la Feuille - Marsac - Camino

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SAINT PRIES LA FEUILLE - MARSAC
Mercredi, 23 mai 2012
Jour 6
19 km
 
Tout le monde est au rendez-vous pour prendre le petit déjeuner. Rassurez-vous, nous sommes bien chez des Anglais dans leur gîte haut de gamme mais le petit déjeuner rentre dans la rubrique continental breakfast. Pour ceux qui ont déjà fait l’expérience d’un bristish breakfast, inutile de décommander ici le petit déjeuner par peur de se retrouver avec des beens et de la sauce brune etc.
Il est huit heures et demie quand nous arrivons à la ferme équestre à Aubepierre et Betty et son équipe sont au rendez-vous. A mon grand étonnement, ils ont déjà mis Henry et Basile dans le pré pour leur permettre de brouter encore un petit peu avant la reprise de la besogne. Mes amis aux longues oreilles ont bien récupéré et nous accompagnent dans le van sans protester. Merci encore une fois Betty. Nous penserons à vous lors de la suite de notre périple.
Comme le stationnement avec un van est un peu délicat à La Souterraine même, nous décidons de nous rendre à Saint-Priest la Feuille d’où nous continuerons notre chemin à destination de Marsac. Nous y avons réservé une chambre dans le gîte chez Bernie.
Entre mille trois cent quatre vingt-huit et mille sept cent quatre-vingt-treize, Priest la Feuille a connu huit noms différents et, pour rendre les choses encore un peu plus bizarres, les habitants ne se nomment pas les Priestaois ou Pirestains comme on pourrait être amené à le croire, mais les Baracats. Parmi les particularités que j’ai trouvées sur le village, je note l’inscription sur une des cloches de l’église Saint-Laurent « Sancta Maria ora pro nobis. MV°XXII - Didier S.S. - Te Deum Laudamus". Comme au moment de la rédaction de la présente la Fête nationale luxembourgeoise est commémorée le 23 juin, cette inscription me parle puisque je fréquente annuellement le Te Deum célébré à cette occasion dans chaque village avec le Te Deum Laudamus que l’on chante.
Nous quittons Saint-Priest la Feuille sous un ciel couvert et on sent que le soleil se cache derrière les nuages. Les quelques vieilles fermes creuzoises auprès desquelles nous passons ressemblent fortement à ce qui se construisait chez nous en son temps. Faute d’une politique orientée rendement au maximum, trop de constructions du genre ont hélas disparu de notre patrimoine. Devant un paysage un peu accidenté et le terrain voué à l’agriculture, je ne me sens pas trop dépaysé par rapport à certains coins au Luxembourg.
Juste avant de nous engager sur la D10, nous laissons passer un semi-remorque chargé de poutrelles en tôle d’une longueur hors du commun. L’allure que Henry et Basile ont choisi fait preuve de leur bonne récupération et nous continuons notre route jusqu’au croisement avec la D74 que nous empruntons aussitôt. Le fait que la pluie ne tombe pas et, en l’absence d’un trafic plus intense nous permet de progresser côte à côte et de faire un petit bilan de notre périple de cette année avec le pour et le contre. La conclusion est vite faite : le confort total parce que les ânes portent nos bagages et plein de choses dont le pèlerin sac à dos doit se priver. Le désavantage est généré par la recherche d’un abri pour les porteurs en fin de journée. L’état d’esprit dans lequel nous avançons ne nous permet pas de trancher  avec ou sans les ânes à l’avenir. Trop de beaux souvenirs nous tiennent à cœur, mais les difficultés de les placer en soirée commencent à peser et à force de faire la même expérience presque tous les jours, les deux heures de maniement supplémentaire en fin de journée alors que les autres pèlerins savourent déjà le repos pèse physiquement, ceci d’autant plus que le congé que nous pouvons envisager annuellement pour le Camino est limité. Même avec une bonne condition physique au sujet de laquelle nous ne pouvons pas nous plaindre, il nous arrive d’atteindre des limites qui donnent à réfléchir. Pour l’instant ni moi ni Daniel ne pouvons donner une réponse concluante – en l’espèce on tourne en rond.
 Avant de bifurquer en direction Le Bec, nous croisons un pèlerin à bicyclette qui s’arrête et demande en français s’il peut prendre une photo. Je lui réponds de manière intuitive en allemand partant en une fraction de seconde du principe que son accent ne pourrait cacher son origine allemande. Comme si de rien n’était, il me répond en allemand ce qui prouve que mon intuition était fondée. Nous échangeons un peu sur notre périple et nos origines et il nous apprend connaître un peu mon pays natal car il se rend au moins un fois par année au lieu-dit « Schumanseck » dans le nord du Luxembourg où son père a été tué pendant l’offensive de von Rundstedt à la fin de la deuxième guerre mondiale. Voilà un de ses moments forts du long fleuve qu’écrit le Camino, en réunissant des personnes qui devaient probablement se rencontrer un jour sans se connaître ni savoir quelque chose l’un sur l’autre. Cette brève rencontre m’a cependant marqué un certain temps et je ne peux qu’être reconnaissant de vivre dans une Europe, où nous ne connaissons pas la guerre depuis bien plus de soixante ans. Rencontrer par hasard, si le hasard existe, une personne dont le père a perdu sa vie sur ma terre natale en tant qu’occupant alors que mon père a été enrôlé de force par le même régime et est revenu invalide longtemps après la fin de guerre d’un camp d’emprisonnement en Russie. Je ne saurais vous dire pourquoi cette rencontre a eu lieu, mais je considère qu’il s’agit quelque part d’une boucle qui se ferme sur le passé de manière à ce que de nouvelles générations puissent se rencontrer sans à priori l’une pour l’autre.
Dans un petit chemin rural qui mène en direction de la Cour, nous sommes tout à coup surpris par l’arrivée du semi-remorque que nous avions déjà croisé, suivi par une voiture. La livraison est probablement destinée à la ferme auprès de laquelle nous venons de passer. Henry et Basile ont déjà senti le bébé et commencent à s’inquiéter, puisque le passage des deux côtés du chemin rural risque de poser un problème. Comme le chauffeur semble avoir une sensibilité pour les animaux, il coupe le moteur et nous permet ainsi de passer en empruntant le fossé qui heureusement ne porte plus d’eaux. La dame qui conduisait la voiture qui suivait le semi-remorque avait cependant une autre vue des choses, car elle commençait immédiatement à klaxonner, ce qui n’a pas contribué à une augmentation de la cadence de passage de notre part. Avec nos remerciements à l’adresse du chauffeur du semi-remorque, nous avons continué notre route.
Sur une longue partie de notre chemin, nous voyons des vestiges d’une tour qui s’avère être celle de Chamborand où nous nous arrêtons près de l’église Saint-Martial. Ici nous croisons d’abord un groupe de pèlerins dont nous n’avons pas encore fait la connaissance jusqu’à ce jour et, juste avant de partir nous voyons arriver les deux Xavier et Marcel qui ont séjourné avec nous chez les Anglais à La Souterraine.

Notre objectif est d’arriver à Neuville avant de casser la croûte et profiter ainsi de la bonne progression de Henry et Basile. Une fois engagés sur le chemin, nous entendons quelqu’un qui criait derrière nous. Nous l’avons identifié comme Marcel pensant qu’il voulait nous dire au revoir. Telle n’était pas la cause de son cri: il s’approchait de nous en me disant qu’on allait trop vite. Je lui ai gentiment fait comprendre que nous avancions au rythme des ânes, ce qui visiblement ne lui plaisait pas. Pour tout pèlerin se pose à un certain moment la question de son accompagnateur pour son périple, celui d’une journée ou de plusieurs étapes, etc. Je suis néanmoins d’avis que ce choix appartient à chacun et j’éprouve certaines difficultés quand on s’impose avec en prime quelques insultes.
Une fois arrivée à Marsac, nous avons trouvé dans la cour du gîte un espace avec de l’herbe et une grange non affectée à un usage particulier, de sorte que nous avons pu détacher les ânes ce qui nous a permis de finir la journée en douceur. L’exploitante du gîte nous avait informés de l’endroit ou se trouvait la clef, si jamais elle n’était pas encore de retour du travail. Arrivés à l’étage, nous avons trouvé un post it avec mon nom pour l’attribution de la chambre ainsi qu’une feuille avec le contenu suivant : «  Catherine (qui vous a vus à la Paroisse de La Souterraine), ne pouvant pas venir vous chercher pour retourner à La Souterraine a demandé à monsieur et madame ….. s’ils pouvaient le faire. Monsieur …. a un RDV à 16.00 heures et pourra (avant ou après) vous véhiculer. A tout à l’heure Bernie « 
Un très grand merci pour Catherine, qui à partir d’un simple échange sur la manière de pérégriner, a tout mis en place pour nous venir en aide et à Bernie pour nous avoir continué le message sans oublier bien entendu notre chauffeur pour l’occasion. Sur le chemin de retour vers Marsac, nous avons rencontré un pèlerin néerlandais, complètement épuisé, assis sur un pont. A cinq kilomètres de son refuge pour la nuit où il avait réservé un lit, nous n’avons pas réfléchi longtemps et l’avons conduit à Bénévent l’Abbaye.
Vous l’aurez deviné – une demi heure plus tard, notre pèlerin crieur est également arrivé et une fois installé n’a pas été convaincu par le contenu du frigo et des prix affichés. Nous l’avons informé sur les heures d’ouverture de la superette auprès de laquelle nous sommes passés. Plus tard, nous y avons fait nos provisions pour préparer une spagetti bolognese. Probablement attiré par le parfum dégagé par la sauce, notre pèlerin crieur a fait son apparition et demandé quand l’eau serait prête. Pour éviter une confrontation entre gens du Camino, je lui ai diplomatiquement dit de bien vouloir patienter cinq minutes et la plaque de cuisson serait à lui. Une fois à table, notre bolognese l’a de plus en plus attiré et pour finir nous lui avons demandé s’il voulait s’associer à notre repas, ce qu’il a fait. Quand nous avons fini de manger, Daniel et moi avons rendu visite aux ânes et passé quelques moments avec eux avant de faire la vaisselle. De retour à table, seule une assiette avait disparu sans plus. La moindre des choses aurait été de proposer ses services pour donner un coup de main après notre invitation. Autant pour notre expérience avec une personne qui ne croit qu’en elle-même.
Plus tard dans la soirée l’exploitante du gîte, Bernie nous a rejoints et nous a appris qu’elle avait vécu comme enfant à Audun-le-Tiche à la frontière franco-luxembourgeoise, mais n’avait jamais appris notre langue.
  
 
 
 
 
 
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