Marbéville – Colombey-les-deux-Eglises
Jeudi, 21 mai 2009
Jour 1
15 km
Tout mon matériel
se trouve par terre dans notre garage et je suis en train de le trier sur base
de ma check liste de l’année passée. Au
fur et à mesure que je coche les différents postes, j’accumule des petits tas
que je mets soigneusement dans des sachets en plastique pour les protéger
contre la pluie au cas où l’eau devrait passer à travers mes sacoches en cuir.
Un des sachets
contient notamment tout ce dont j’ai besoin pour passer la nuit : le
matelas auto-gonflable, le sac de couchage, un drap en coton, un coussin
gonflable, le pyjama, un bonnet, des bouche-oreilles, un peu de papier WC pour
parer à toute éventualité et ne pas oublier la lampe frontale.
Afin de rester en
dessous du poids de 2008, je pèse de temps à autre le tout et constate que je
suis toujours dans le vert. C’est principalement au niveau de la cuisine que le
gain en termes de poids se fait le plus sentir. Il y a quelques jours nous
avons été au supermarché et nous nous sommes limités à acheter des aliments
lyophilisés. Une dernière pesée pour ce soir – 13 kg pour la sacoche du côté
droit et 11 kg pour celle du côté gauche. Comme cela, ça ne peut pas marcher,
je dois refaire le tout – à moins que j’aie fait une erreur. Bien sûr, je n’ai
pas compté ma gourde d’eau à deux litres qui se trouve dans la cuisine, pour ne
pas l’oublier demain matin.
Pour être complet,
je pose tout mon bagage comme si Henry était présent pour être bâté : au
milieu la couverture pour protéger le dos de l’âne, puis le bât, une sacoche à
gauche, une à droite, une petite poche pour les affaires à besoin instantané,
le parapluie, la corde pour attacher Henry, le licol, la longe et pour finir le
bâton du pèlerin. Abstraction faite du bât, mon fidèle compagnon aux longues
oreilles portera donc 34 kg, soit 6 kg de moins que l’année passée. Pour être
fier, je suis fier et Henry ne demande pas mieux.
Le jeudi matin,
Daniel est à l’heure. A 8.00 heures, comme convenu, il est chez moi avec son
épouse et René, qui cette année encore, est prêt pour nous accompagner jusqu’au
point de départ, ramener la bétaillère au Luxembourg et venir nous reprendre,
si saint Jacques le veut à Vézelay samedi en huit.
Henry et Basile
nous ont déjà repérés au loin au son des petites cloches qui sont attachées aux
licols. Sans problème ils sont prêts à enfiler le licol comme si on partait
pour une randonnée dominicale. Une fois les ânes chargés dans la bétaillère,
j’embrasse ma femme Gaby et nous convenons de nous téléphoner, comme l’année
passée, tous les soirs entre 18.00 et 19.00 heures.
Pour l’aller Daniel
est au volant et l’ambiance dans la voiture est bien plus décontractée qu’en
2008. Fort de notre expérience et de la confiance dans notre matériel, nous
pouvons tranquillement aborder les choses à venir.
La semaine passée,
le beau temps était au rendez-vous mais les prévisions pour les jours à venir
sont un peu inquiétantes. Ce qui est en train de se dessiner à l’horizon n’est
pas évident et, à une cinquantaine de kilomètres de notre lieu de départ, la
couleur du ciel passe du noir au violet. Au loin nous voyons les premiers
éclairs et une pluie diluvienne ne tarde pas à s’abattre sur la chaussée. Un
petit regard en direction de Daniel pour constater que nos deux non-verbaux
semblent en parfaite harmonie pour exprimer un petit doute sur le trajet que
nous avons envisagé pour cet après-midi.
Arrivé à
Marbéville, la pluie cesse soudainement et nous pouvons décharger les ânes sous
les seules petites gouttes qui tombent encore des feuilles des arbres, en
dessous desquels nous nous sommes arrêtés sur un petit chemin rural.
Henry et Basile
sont vite bâtés, le temps de dire au revoir à ceux qui nous ont amenés jusqu’à
Marbéville et nous voilà en route. Le tout en moins de quinze minutes – je n’en
reviens pas. Comparé aux problèmes de départ que nous avons rencontrés en 2008,
cela représente une amélioration incroyable.
En réécoutant mes
enregistrements je dis texto : « il est 13.30 heures et ceci est mon
premier enregistrement pour cette année. Il ne pleut plus et nous sommes en
route vers Curmont ».
Pour éviter de
devoir passer à travers la forêt de l’Etoile près de Marbéville, nous prenons
la D133 en direction de Curmont, et après avoir laissé le temps aux ânes de dépenser
leur première énergie, nous nous arrêtons à hauteur des grands prés le long de
la Blaise pour manger un sandwich et permettre à Henry et Basile de brouter un
petit peu. Malgré le fait de nous trouver en terre inconnue, je ne me sens pas
à l’étranger, bien au contraire puisque nous avons un objectif pour aujourd’hui
– arriver en fin de journée à Colombey-les-deux-Eglises.
Le tracé de notre
carte prévoit de laisser Curmont sur notre droite. Nous décidons néanmoins de
passer par le village qui semble ne pas accueillir un grand nombre d’habitants.
A la sortie, nous retombons sur la D133 et découvrons une première fois au loin
la Croix de Lorraine.
Entre-temps, les
ânes ont adopté leur rythme de croisière de randonnée, Daniel et moi avons pris
nos premières photos et nous avançons tranquillement.
Nous entrons dans
Lamothe-en-Blasy par la rue Val Chevreuil et j’en conclus que cette rue doit
son nom probablement à une abondance du gibier dans la forêt domaniale du
Plachet et de l’Etoile, qui encercle partiellement le village. En face de l’église
de Lamothe-en-Blasy nous voyons une femme assise avec ses enfants sur le mur de
la mairie, qui admirent nos compagnons aux longues oreilles.
Lamothe-en-Blasy
est un de ces villages que nous rencontrerons beaucoup en cours de route :
une population résidente qui avoisine à peine la centaine avec une moyenne
d’âge assez élevée, quelques maisons rénovées, entourées d’une clôture qu’on ne
peut pas ne pas voir et dont tous les volets sont fermés, ainsi que quelques
maisons en état de décomposition avancée. C’est surtout cette perte de
patrimoine local en disparition qui retiendra notre attention et nous nous demandons
souvent ce que vaudrait bien une telle propriété. Acquérir à terme une telle
bâtisse serait certainement alléchant mais se solderait probablement par un
investissement à fonds perdu si aucun de nos successeurs reprenait l’immeuble.
A la sortie du
village, nous longeons une propriété dans laquelle sont stockés des stères de
bois à perte de la vue. Comme un de mes passe-temps est le façonnage de notre
bois de chauffage, je ne peux que conclure qu’il s’agit d’un dépôt d’un
commerçant de bois de chauffage, à moins que celui qui est à l’origine d’un tel
travail soit intimement convaincu que les prochains hivers seront très rudes.
Le long de la D235
en route vers Colombey-les-deux-Eglises, une petite brise se lève et nous nous
voyons contraints de revêtir une veste légère pour éviter d’attraper un petit
refroidissement. Au fur et à mesure que nous avançons, la Croix de Lorraine
agrandit à l’horizon ainsi que la silhouette de l’église bien connue.
A l’entrée de
Colombey les deux Eglises, avant de croiser la N19 nous tombons sur la caserne
de la Gendarmerie Nationale et profitons pour faire tamponner une première fois
notre Crédential. Nullement étonné par ma demande, le gendarme à qui je
m’adresse au guichet m’informe qu’il avait vu récemment un reportage sur le
chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Une fois la N19
franchie, nous décidons de commencer notre recherche d’un abri pour la nuit.
Comme il vient de commencer à pleuvoir un petit peu, il n’y a pas grand monde
dans les rues. Un habitant nous informe que la grange en face de la rue
appartient à la commune et que nous pourrions sans problèmes nous y installer. Compte
tenu du fait que la pluie double de cadence, nous ne réfléchissons pas
longtemps et faisons vite une petite inspection des lieux. Adjugé, à moins
qu’on ne trouve encore autre chose, nous dormirons ici. La grange est en effet
un abri d’une hauteur d’au moins huit mètres avec une surface au sol de plus ou
moins six sur 20 mètres, complètement ouvert d’un côté.
Avant de nous
installer nous visitons néanmoins encore la ville et en particulier le
cimetière où est enterré le Général de Gaulle qui est décédé à Colombey-les-deux-Eglises
en date du 9 novembre 1970. Accompagnés par nos ânes en pleine monture, nous ne
devons décidément inquiéter personne et même la Gendarmerie Nationale ne voit
pas d’inconvénient lors d’un passage devant l’église en voyant un pèlerin tenir
deux ânes à la laisse alors que l’autre est en train de visiter le cimetière. Je
mets un certain temps pour trouver la tombe du général et suis un peu surpris
par la simplicité de la pierre tombale – simplicité dans la mesure où je m’attendais
à quelque chose de plus représentatif eu égard à l’homme qui y est enterré. Nous
passons également auprès la statue de Notre-Dame-des-Otages qui a été coulée à
la fonderie de Vaucouleurs, ville dans lequelle nous sommes passés l’année dernière.
Cette statue a en effet été commandée suite à une promesse d’otages des nazis
pendant la deuxième guerre mondiale qui ont été libérés après avoir été pris en
otage à la suite de l’assassinat de deux soldats allemands dans la ville.
Nous descendons de
nouveau la rue pour aller nous installer définitivement dans le hangar
communal, déchargeons les ânes et les faisons brouter pour peu que nous
trouvons herbe qui plaise à messieurs, ce qui ne semble pas être le cas à en
juger leur appétit sachant qu’ils n’ont pas encore eu l’occasion de se remplir
l’estomac aujourd’hui. Puis, nous dressons nos tentes dans le hangar pour être
à l’abri du vent pendant la nuit. Au moment où nous préparons notre repas, la
voisine du hangar sort de sa maison et nous profitons de l’occasion pour nous
présenter et l’informer que nous y passerons la nuit et que nous continuerons
notre route le lendemain.
Est-ce que nous
pourrions le cas échéant remplir nos gourdes avec de l’eau potable chez vous,
madame ? Sans problème messieurs – elle rentre dans la maison et nous
offre un bol d’eau plate de 5 litres non encore ouvert. Merci madame.
Alors que nous nous
empressons de rentrer dans nos sacs de couchage, on voit de plus en plus
d’éclairs à l’horizon, suivis d’un grondement qu’on ne peut plus identifier
comme étant à coup sûr un tonnerre. Ceci nous accompagne tout au long de la
soirée et rappelle sans équivoque des scènes de films de guerre dans lesquels
on entend des coups de canon ou des bombardements au loin. Avant de m’endormir,
avec un peu d’imagination, je me pose la question si la région n’est pas en
train de nous raconter une partie de sa triste histoire.