Prémery - Saint Sulpice - Camino

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Trajet > 2010
PREMERY – SAINTE SULPICE
Dimanche, 29 août 2010
Jour 4
20 km
 
 
Il est sept heures trente quand je me lève et comme d’habitude, je jette un coup d’œil en direction de nos sacs à dos à quatre pattes. Ils sont près de l’arbre où nous les avions attachés hier soir et il semble qu’ils aient faim. En effet, il n’y a plus guère d’herbe dans l’espace autorisé par la laisse par laquelle ils ont été tenus la nuit. C’est la raison pour laquelle je les déplace de quelques mètres, question de faire encore une fois le plein avant de repartir.
Le premier échange avec Daniel ce matin porte sur nos tentes, qui sont relativement humides. La proximité de la Nièvre et du petit lac y ont bien contribué, ce qui me rappelle une situation similaire dans la vallée de la Meuse il y a deux années. Comme le soleil tarde à sortir de derrière les nuages, un proche départ ne pourra être envisagé si nous voulons éviter de devoir emballer des tentes humides.
Les installations sanitaires du camping sont impeccables et le propulseur d’air chaud fixé sur une des parois s’avère un luxe non négligeable. La suite de nos démarches, c’est du rituel. Daniel nous procure du pain frais alors que ma partie de la besogne consiste dans les soins nécessaires à apporter aux ânes avant de reprendre la route. Pendant que nous prenons le petit déjeuner, le soleil fait son apparition et nos tentes sèchent relativement vite de sorte que, tous autres préparatifs du départ compris, nous prenons la route vers les dix heures sans pour autant échapper à certains campeurs qui veulent absolument prendre une photo.
Pour éviter de devoir passer par la D977 qui est assez fréquentée, nous empruntons un petit chemin qui longe le camping et nous amène vers le barrage local. Sur une terrasse, au passage près de sa maison, une femme s’énerve et crie à qui veut l’entendre : «  Oh les pauvres bêtes, qu’est-ce qu’ils sont chargés ces ânes – mais c’est pire que chez les Arabes ».  A force de rencontrer des gens qui s’expriment de certaines manières sur les ânes, j’ai appris à ne plus réagir à de telles pensées personnelles pour éviter de rentrer le cas échéant dans une discussion qui ne mêne à rien. Toute réflexion faite sur que cette dame nous a lancé à la tête, j’arrive après coup à la conclusion suivante : d’abord il ne faut pas se fier aux apparences et tout croire de ce qu’on voit. Même si le volume que portent Henry et Basile semble à première vue volumineux, le poids total est à hauteur de ce que peuvent transporter ces animaux. Si madame était une initiée, elle connaîtrait probablement le poids qu’on peut charger et se serait intelligemment renseignée sur le nôtre. Puis la remarque péjorative sur les Arabes – il y a une multitude de peuples qui travaillent avec des ânes, des Asiatiques, des Africains, des sud Américains et beaucoup d’autres, même des Luxembourgeois. Saint Jacques, fait en sorte que notre Camino nous serve au moins à ne pas juger les autres rien que sur leur appartenance à une certaine couche de la population.
Quelques centaines de mètres plus loin,  nous croisons une autre dame qui habite au moulin près du barrage. Elle est pleine d’admiration pour nos ânes, ce qui fait du bien tant à l’animal qu’au pèlerin. Une fois engagé sur la D38 une automobiliste s’arrête vêtue d’un imperméable fermé avec une ceinture, par une chaleur qui doit quand même atteindre facilement plus de vingt degrés et probablement plus dans cette veille voiture que nous avons estimée ne pas disposer des avantages d’une climatisation. Elle vient à notre rencontre, demande l’autorisation de prendre une photo, se renseigne sur les noms des ânes et demande si nous sommes des Belges. Décidément cette journée commence autrement qu’à l’habitude : après les Arabes - maintenant les Belges et tout cela à la figure de Luxembourgeois qui ne demandent rien d’autre que d’être de simples pèlerins.
 Nous quittons Prémery par la D38 pour nous engager sur la D148 et passons près du complexe industriel que nous avions déjà détecté de loin hier soir. A ce moment, je ne savais pas encore que le site Cambiotte est une des friches industrielles les plus dangereuses de France. Abstraction faite de cette connaissance, j’écoute avec satisfaction mes réserves que j’avais enregistrées sur mon dictaphone : « Nous longeons actuellement un site industriel en état de décomposition avancée. On voit quelques petites bâtisses où les fenêtres ont été enfoncées, avec à l’intérieur des citernes et tuyaux de toutes sortes. Des eaux usées, dégageant une odeur indéfinissable, et stagnent le long de la chaussée dans les fossés ».
En traçant notre chemin ce matin, nous avions opté pour la D148 compte tenu de l’expérience d’absence de trop de véhicules, que nous avons rencontrés dans le passé sur des routes similaires. Tel n’est cependant pas le cas pour celle-ci : le trafic est abondant dans les deux sens et nous décidons de mettre notre veste de cantonnier, comme Bernard d’Amenty avait désigné en son temps nos gilets jaunes avertisseurs. Etant donné que nous revoyons certains de ces véhicules quelque temps après revenir sur cette même D148, nous concluons que le trafic intense est dû à la présence d’un supermarché à Prémery.
Daniel et moi-même sommes propriétaires de chiens que chacun de nous ou un membre de notre famille conduit régulièrement à la laisse, question de les occuper et leur permettre de faire leurs besoins et les occuper un petit peu, ils courent dans nos propriétés respectives. Il tombe dès lors sous le sens que nous avons été un peu choqués à la vue de cette maison avec, dans son jardin, un petit enclos regroupant une douzaine de chiens dont certains à la chaîne qui crient tout le temps et où l’un charge l’autre.
Je ne sais pas si Basile a été fortement impressionné par ce cheptel de chiens mais il est actuellement un peu à la traîne. Au lieu d’être à l’avance tout le temps, sauf dans les passages difficiles où il cède volontiers le passage à Henry, il marche à l’arrière à une vitesse qui d’habitude n’est pas la sienne. A force de m’en rendre compte, je réalise qu’il l’a déjà fait hier partiellement lors de notre route à travers la forêt pour rejoindre Prémery.
Vers midi nous arrivons à Pourcelange. Compte tenu du petit retard accumulé le matin, nous décidons de contourner le village et de continuer jusqu’à Nolay où nous voulons casser la croûte.
Nolay est un petit village aux origines gallo-romaines situé au pied de la Renèvre. Près du lavoir, nous quittons la D148 pour monter près de l’église dédiée à Saint Pierre qui date du XVIe siècle. Comme il fallait s’y attendre. elle est fermée à clef. En montant vers l’église, nous nous rendons compte que Basile a visiblement bien plus de problèmes qu’on ne l’avait estimé – il est en permanence à la traîne. Une fois débâtés, nos deux compagnons se mettent aussitôt à brouter alors que de notre côté nous cherchons une place pour nous asseoir.
Une fois de plus, nous regrettons de ne pas pouvoir jeter un coup d’œil dans l’église, ceci d’autant plus que celle devant laquelle nous nous trouvons est l’objet d’un pèlerinage annuel le lundi de Pentecôte.
Au moment où nous nous apprêtons à reprendre la route, arrive une voiture immatriculée au Pays-Bas avec un porte-vélo, quoi d’autre. La conductrice n’a probablement pas remarqué que la montée près de l’église est un peu plus abrupte qu’elle n’en a l’air et le bruit provoqué par le contact de l’avant du véhicule avec le terrain laisse douter qu’il pourrait avoir des suites pour une bonne continuation. Visiblement peu impressionnées par ce bruit, deux femmes sortent du véhicule et se dirigent vers nous pour nous demander si nous sommes sur la route de Saint-Jacques – affirmatif. Elles nous informent que leurs maris sont en train de faire la même chose – « met de fietsen » – alors qu’elles les suivent d’étape à étape avec la voiture.
Pour la suite nous avions prévu de passer par Prunevaux. Comme le dénivelé à vue d’œil nous semble plus prononcé que ne laissait prévoir la carte, nous optons pour reprendre la D148 en direction de Nyon. Traditionnellement, les ânes marchent en début d’après-midi un peu plus lentement et nous mettons quelque temps pour rejoindre le carrefour de la Croix-Blanche au croisement Nyon – Saint-Sulpice. Comme le trafic sur la D148 est néanmoins plus intense que nous ne l’avions imaginé, nous décidons de ne pas continuer par Nyon en direction de Ourouër et quittons la D148 pour rejoindre la D104 en direction de Saint-Sulpice, sur laquelle le passage de voitures se fait de nouveau au rythme d’une voiture tous les quart d’heure.
Après quelques centaines de mètres du croisement, nous nous arrêtons pour boire un peu d’eau et laisser brouter les ânes. Henry en profite immédiatement alors que Basile reste sur place à mi-chemin entre la route et le fossé qui le longe. Quand celui-ci commence à baisser la tête et écarte les jambes en forme d’un grand V à l’envers, vous aurez compris que j’ai commencé à me faire du souci. Impossible de le faire bouger dans quelque direction que ce soit. Après une demi-heure, il accepte de bouffer un des ses biscuits préférés mais l’apétit n’y est pas. Son estomac fait en plus des bruits qui laissent supposer des problèmes d’estomac et nous décidons de le laisser ainsi, si cela lui fait du bien. Après une autre demie heure sur place, il accepte une main d’herbe fraîche et commence à brouter, ce qui est quand même un bon signe. Dès lors, nous avançons au rythme du désherbage de Basile, c.-à-d. à peine un mètre par trente minutes. Depuis notre arrêt, le système digestif de Basile est plus qu’actif et il a crotté au moins cinq fois et chaque jetée se rapproche de l’état normal d’une telle décharge naturelle.
Il est entretemps cinq heures et demie de l’après midi et Basile continue à brouter alors que Henry en a tout doucement marre – il veut continuer. A ce moment, arrive un couple qui se promène et nous échangeons quelques mots avant qu’ils ne continuent leur route. Pour faire avancer Basile, nous optons pour la ruse et je continue ma route avec Henry jusqu’à un point où Basile ne nous voit plus. Soudainement, monsieur se met en route mais avance à peine quelques centaines de mètres avant de s’arrêter de nouveau. Nous voilà à mi chemin entre Nyon et Saint-Sulpice avec un âne qui ne demande qu’à avancer et un autre qui a visiblement des problèmes – au pire on devra camper au clair de lune. A ce moment, réapparaît ce couple qui nous avait déjà croisés et nous échangeons quelques mots sur ce qui nous arrive. Pierre et Jocelyne s’avèrent être des bénévoles prêts à nous donner un coup de main et l’un d’entre eux possède en plus un pré à Saint-Sulpice. Hélas, nous n’y sommes pas encore. Alors qu’on essaye de faire une fois de plus la même ruse et que Henry continue la route avec moi, Pierre et Jocelyne, Basile à l’arrière avec Daniel n’avance qu’au compte-goûtes. Pierre et Jocelyne continuent leur route vers Saint-Sulpice et me proposent de se renseigner où et comment nous pourrions loger les ânes pour la nuit et nous accueillir. Ils me promettent de repasser sur la route pour nous tenir au courant au moment de rentrer. Henry a entretemps réalisé que Basile n’est pas dans le coin et décide de faire route arrière à un rythme que je ne lui connaissais pas. Arrivé à hauteur de Basile, il frotte sa tête contre la sienne comme pour se renseigner sur son état.
Après avoir examiné la situation avec Daniel, nous décidons de débâter sur place et essayer de récupérer le van, afin de pouvoir conduire Basile, en compagnie de Henry bien entendu, au moins jusqu’à la ferme la plus proche avant qu’il ne décide de s’asseoir ou que son état ne le lui impose. Peu de temps après arrivent Pierre et Jocelyne en voiture et nous les informons de notre décision. Sans hésiter ils nous proposent de conduire Daniel à Champlémy pour aller récupérer le van.
Il est presque huit heures quand Daniel arrive avec la bétaillère et par ailleurs le jour commence à tomber. L’état de Basile ne s’est pas amélioré – il monte néanmoins dans la bétaillère sans problème. Le peu de foin qui nous reste dans un sac est probablement juste ce qu’il lui faut parce qu’il s’y met tout de suite.
Pour éviter de devoir, à la nuit tombante, expliquer à un cultivateur qu’on ne connaît pas qu’on est en train d’amener dans sa ferme un animal qui a un problème de santé et le convaincre à nous accepter pour la nuit voire plus longtemps, nous décidons que la raison nous dicte de terminer notre Camino 2010 à cet endroit pour  la santé de Basile et retournons à domicile. Basile a mis encore quelques jours pour récupérer complètement d’avoir mangé quelque chose dont il devrait se souvenir. Compte tenu du fait que le temps à notre disposition était de sept jours au départ, nous aurions ainsi passé plus ou moins trois journées sur les cinq restantes au même endroit. En conclusion j’estime que la décision du retour était justifiée mais difficile à gérer.
Je dédie le récit de cette journée spécialement à Pierre et Jocelyne, ces deux bénévoles de la région de Nevers qui avec leur grand cœur nous ont aidés dans une situation délicate du Camino. Le Camino est certes semé d’épreuves pareilles que chacun jugera de surmonter à sa façon non sans l’aide de personnes aux qualités de Pierre et Jocelyne.
 
 
 
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