Cunzy - Champlémy - Camino

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CUNZY - CHAMPLEMY
Vendredi, 14 mai 2010
Jour 2
20 km
 
 
Vers six heures et demie, je me réveille et comme j’ai bien dormi je me sens plein d’énergie pour affronter une nouvelle journée sur le Camino. Contrairement à ses habitudes, Daniel qui, par rapport à moi est un lève-tôt, est encore dans son lit. Il est pourtant réveillé et m’informe qu’il a à peine dormi deux heures pendant toute la nuit et qu’un mal de dos qu’il a connu quelques années a refait son apparition. Il doit vraiment avoir mal puisqu’il pense le cas échéant à ne pas reprendre la marche. Même s’il tombe sous le sens que l’un soutient l’autre dans un duo comme le nôtre, cette nouvelle me frappe comme un coup de poing dans un estomac vide. Après avoir réalisé ce que Daniel vient de me dire, je lui réponds que, si tel est son souhait, je serai prêt à le respecter et que dans ce cas nous remballerons nos affaires et retournerons à domicile au courant de la journée.
Après un passage dans les douches je rencontre Marianne, dans la cuisine qui a déjà préparé le café et nous discutons un peu de la situation dans laquelle nous nous trouvons. La veille, quand Marianne racontait un peu ce qu’elle faisait journellement dans un mélange de néerlandais, d’allemand et d’anglais, je n’avais pas trop fait attention quand elle parlait de « stoelmassage ». Il s’avère que Marianne est une praticienne du massage sur chaise en entreprise. Pendant que nous prenons le petit déjeuner, elle propose à Daniel de lui prodiguer un massage dorsal qu’il accepte. Inutile de préciser que la dame du pays des tulipes a vite trouvé la racine du mal, à en juger l’expression visuelle de Daniel. Après un quart d’heure de traitement, les douleurs de Daniel ont nettement diminué et il me dit être en forme pour reprendre le chemin. Voilà un bel exemple de situation win-win tant prônée dans notre quotidien. Je n’aurais cependant jamais imaginé qu’un massage dorsal pourrait représenter la contrepartie d’un sachet de pâtes lyophilisées, partagé en trois avec un verre de vin rouge et une baguette.
Vers huit heures et demie, nous allons chercher Henry et Basile qui sont très contents de nous revoir et nous les ramenons vers le refuge pour les charger, où Marianne fait encore une photo pour mettre sur son blog. Voici l’extrait qu’elle a publié sur notre brève rencontre : Een keer had ik een onderkomen via een mevr. en daar bleek alleen een houtkachel in de keuken, verder koud en vochtig. Gelukkig waren er 2 mannen uit Luxemburg die elk jaar met 2 ezels 10 dagen van de route lopen en die hadden de kachel al opgestookt. Vervolgenz was er niets te eten of te koop (weekend) en deelden zij hun eten (en wijn!) met me. Comme nous partons en premier, il appartiendra à Marianne de ramener la clef du refuge à madame Debèze.
Par un froid glacial, nous quittons Cunzy-les-Varzy, en empruntant près de l’église Saint-Martin le GR654 sur un kilomètre qui à cet endroit croise la D6. C’est à ce moment que nous découvrons également un panneau indicateur du Camino sur la Via Lemovicensis et nous décidons de rester un peu sur ce chemin où nous trouvons effectivement régulièrement des panneaux, de sorte qu’une erreur de direction est pratiquement impossible. Au lieu dit « Vertenet », nous passons près d’un lavoir et une croix en pierre au pied de laquelle bien des pèlerins ont déjà déposé des pierres, tout comme près du Cruz de Ferro sur le monte Irago que nous verrons dans quelques années compte tenu de notre parcours annuels limité en kilomètres. Je ne peux résister à ramasser une petite pierre et l’ajouter au tas, sans idée aucune à quoi cela pourra servir. Voilà la deuxième fois qu’une telle situation symbolique se présente sur le Camino, après avoir allumé un cierge dans l’église de Vaucouleurs. Après une centaine de mètres derrière la croix en pierre nous accédons sur la D102 et je profite d’une petite pause pour prendre des nouvelles du dos de Daniel, qui me confirme qu’il se sent mieux mais qu’une petite douleur se fait toujours sentir.
Il fait toujours très froid et la petite brise qui s’est levée nous force une fois de plus de revêtir l’ensemble de notre stock de vêtements. Comparé à deux mille huit, quand nous sommes partis le premier mai alors que nous avions trente et un degrés, la nature a bien du retard cette année, étant donné que les quelques champs de colza sur notre route viennent à peine de passer du vert au jaune.
Compte tenu du fait que notre progression se fait le plus prêt possible d’une ligne directe Metz – Saint Jean Pied de Port, nous quittons la D102 à hauteur de la « Pleine de Paulin » le chemin balisé à l’emblème de la coquille et continuons notre route sur la D102 en direction de Fly. C’est un petit village de passage et nous nous renseignons s’il y a un commerce dans le village ou dans un autre village des alentours sur notre route. Une personne nous informe qu’il y a des commerces à Varzy, alors qu’un autre souhaite savoir d’où nous venons. « De Varzy-les-Cunzy ? Je connais pas ». Le revoilà le fameux « hein » dans lequel on peut tout inclure lorsque quelqu’un ne comprend plus. Pour bien expliquer mon étonnement : nous sommes à deux villages de Varzy-les-Cunzy et monsieur nous dit ne pas connaître les alentours. Comprend qui veut, mais nous ne sommes plus à l’ère où le monde s’arrête derrière la prochaine colline et, si jamais vous la dépassez, le diable vous attend. Décidément on aura tout vu.
Pendant que nous continuons sur la D102, une petite fenêtre dans les nuages laisse espérer que le soleil pourrait contre toute attente nous chauffer un petit peu. Effectivement, vers onze heures le soleil nous accompagne pendant un petit quart d’heure pour disparaître de nouveau aussi vite qu’il est apparu et la température tombe de suite et nous force de nouveau à revêtir notre stock de vestes. Dans cette ambiance frigo nous laissons sur notre gauche le village de Remilly qui, a première vue, est un village comme parmi d’autres si ce n’est que sa population a bien su gérer ses intérêt. En effet, le vingt-quatre mars deux mille neuf, après une lutte qui durait quatre années, le préfet de la Nièvre a rejeté un projet pour l'implantation et l'exploitation d'un site d'enfouissement de déchets non dangereux. L’exploitant de ce dépôt avait pour objectif d’y amener deux cent cinquante tonnes par jour de déchets transportés par camions, à enfouir sur quarante-huit hectares pendant une durée minimale de dix ans.
A la sortie Remilly, nous tombons dans une descente sur un panneau indicateur d’une ligne de chemin de fer, et compte tenu de notre expérience sur ces lignes qui sillonnent le paysage, nous redoublons de prudence pour éviter qu’une locomotive ne croise notre chemin au moment de passer les rails en l’absence de barrières automotrices. Arrivés à hauteur des rails, nous constatons qu’à partir de l’endroit où nous nous trouvons, toute progression sur les rails devra s’avérer un peu plus difficile. Il se trouve que mère nature a récupéré partiellement le chemin en laissant pousser, entre les différentes poutrelles en chêne des arbres d’une taille modeste encore, mais quand-même. Que cette ligne est définitivement abandonnée, est encore plus visible dans le village que nous atteignons maintenant à en juger l’état du pont ferroviaire. Celui de Corval d’Embernard est dans un état de décomposition avancé et les pierres manquantes sur les éléments porteurs des rails n’inspirent pas trop de confiance – du moins je ne souhaiterais pas me trouver en dessous au passage de n’importe quel engin.
L’église Saint-Gengoult de Corval d’Embernard se trouve sur un site qui accueillait en son temps un château qui a disparu de nos jours. Parmi les particularités de ce village, dont étymologiquement le nom Corvolium signifie vallée courbe,  je retiens l’ancienne bascule municipale qui a servi jadis pour peser marchandises et animaux et servait à ce titre de point de rencontre des habitants des alentours. Si jusqu’à ce jour nous avons rencontré des lavoirs couverts pour conserver leur entretien, voilà un lavoir particulier, celui du Pétat est à ciel ouvert.
A l’entrée du village où nous arrivons deux jours trop tôt avant la fête de son neuvième vide-grenier, nous rencontrons deux femmes qui récupèrent le courrier dans les boîtes aux lettres collectives. A la question de la présence d’un boulanger dans le coin, une des dames nous invite dans l’enceinte clôturée devant sa maison et nous offre un peu de pain et de l’eau chaude, ce qui nous permet de ne pas devoir sortir le réchaud pour faire bouillir de l’eau. Cette halte tombe à pic étant donné que le ciel devient de plus en plus menaçant. Si jamais il devait pleuvoir ou neiger, nous pourrions très vite mettre nos affaires dans la grange en attendant la fin de l’averse. Les laisses de Henry et Basile sont accrochées à des dispositifs prévus naguère pour y attacher les chevaux. Notre hospitalière ponctuelle nous apprend qu’elle n’a malheureusement pas pu atteindre des connaissances qui aiment les ânes. Comme d’usage, nous prenons l’adresse des personnes qui nous accueillent pour leur envoyer par la suite une photo prise dans leur propriété, témoignant ainsi qu’il y a effectivement eu des ânes chez elles – what else – les pèlerins en leur présence passent ainsi au deuxième rang. Entretemps il a commencé à pleuvoir légèrement mais pas assez pour devoir mettre nos affaires à l’abri. C’est ainsi que nous prolongeons un petit peu notre arrêt et la dame me fait cadeau du livre qu’elle a écrit « L’habit du dimanche » par Nicole Polin paru aux éditions Bénévent. Sur la dernière page, l’autrice écrit «  Si ces petites histoires, inspirées par de pittoresques personnages, dans des paysages admirés lors de voyages, vous éloignent pour un temps de votre quotidien, ma modeste plume en sera ravie ». Merci Nicole, d’abord pour ce livre et ces paroles qui ô combien décrivent le Camino. Décidément il y a des pôles qui s’attirent.
Alors que la pluie cesse de tomber, nous décidons de prendre congé et partons pour Champlémy qui sera notre destination du jour. Rien que le fait de marcher de nouveau semble faire recirculer le sang dans les jambes. Les locaux nous avaient avertis que la montée à affronter serait longue et rude. Oui ça monte effectivement un petit peu sur une certaine longueur. Ce qui me fascine toujours, c’est cette logique comparative pour mesurer un même ensemble. Dans le cas qui nous occupe, un local qui devrait se rendre au prochain village ne le ferait certainement pas à pied compte tenu du terrain accidenté et de la distance de quatre kilomètres à parcourir, comme nous le ferions probablement aussi chez nous. Dans le contexte d’un pèlerin qui a l’habitude de marcher, celui-ci n’y voit aucun problèmes ce qui confirme qu’Einstein avait raison quand il disait que tout est relatif quoique le contexte dans lequel il s’exprimait n’était pas en relation avec un pèlerinage.
Près de la maison des vignes, nous empruntons donc cette D217 et croisons quatre ânes dans un pré dont trois semblent ne pas s’intéresser à notre passage. Par contre une ânesse dans ce quatuor est visiblement enchantée et nous suit sur toute la longueur du pré et se met à braire à plusieurs reprises. Si Henry n’y prête aucune attention et continue à progresser normalement, Basile quant à lui, succombe entièrement au chant de cette sirène et Daniel doit travailler avec toutes les astuces asiniennes qui sont les siennes pour le faire avancer.
La traversée du bois de Corvol rappelle une fois de plus que nous sommes loin, voire très loin, des températures presque estivales que nous avons eues les années précédentes. Ce phénomène s’intensifie encore à la sortie de la forêt au lieu dit « Nancray » où notre carte affiche un aérodrome. A l’approche de cet aérodrome, nous découvrons une baraque sur le toit de laquelle est écrit « RSA Champlémy ». Je ne sais pourquoi mais ce terrain aurait également pu servir pour tourner la fin de « La Grande Vadrouille » où Louis de Funès et Bourvil s’envolent avec un planeur.
Champlemy porte le nom romain de Campus Lemeteii et la Nièvre y prend source. L’église est dédiée à saint Maurice. Des bâtisses anciennes s’y trouvent en abondance, dont le château avec toutes ses dépendances et la halle aux grains. Notre première rencontre est celle avec une Australienne qui confirme qu’il y a bien un commerce, un restaurant et un gîte dans le village. Ces paroles sont bien venues dans les oreilles d’un pèlerin, dont le froid s’empare dès qu’il n’avance plus. Au centre du village, nous découvrons effectivement le commerce qui s’avère être une petite épicerie qui a tout sauf du pain, qui n’arrivera que demain matin. Bon, on ira donc au restaurant ce soir qui affiche néanmoins « Fermeture exceptionnelle ». Tentons donc notre chance au gîte et après nous irons chercher un endroit pour les ânes. Pas de chance – une association a loué le gîte complet pour deux jours y compris la salle communale des fêtes. Après avoir exploité ce qui semblait être le plus réaliste pour trouver refuge, nous pourrons toujours recourir à nos tentes mais, compte tenu du froid, nous continuons nos recherches. La tenancière du commerce nous dirige vers le château, dont les propriétaires nous accueilleraient certainement puisqu’ils ont des ânes.  Elle se propose même d’y téléphoner mais personne ne répond – et de se rappeler qu’elle les a vus passer avec la voiture.
Dans un esprit de reconnaissance des lieux, nous nous y dirigeons et tombons sur les deux ânes dont l’ânesse semble être en chaleur, au plus grand plaisir de Basile qui n’a probablement pas encore oublié sa rencontre de l’après-midi. Sauf les deux ânes, il n’y a personne. Comme le commerce semble également faire fonction d’office du tourisme compte tenu de la connaissance approfondie des habitants du village et de la région à part l’exploitante, je reste près des ânes alors que Daniel y retourne pour vérifier si tel est le cas. Madame donne deux autres adresses : l’une à Neuville à deux kilomètres ou l’on nous dit qu’on est malheureusement complet ce soir, et l’autre, à Bourras la Grange qui se trouve à l’opposé de notre trajet à plus de sept kilomètres soit presque deux heures avec les ânes. Nous décidons d’attendre encore un petit peu, en guettant l’éventuel retour des propriétaires du château avant de dresser la tente en dernier recours dans un froid persistant.
Daniel avait acheté une boîte de thon que nous mangeons avec le reste de baguette dans nos sacoches, sur une remorque destinée au transport de bois de chauffage en face de la salle des fêtes où Nicolas avait passé la nuit sous la tente et que j’avais accompagné en son temps avec Basile et Henry le premier jour de son Camino. Tout à coup, un trio de voitures entre dans la cour du château et visiblement les ânes nous servent une fois de plus d’ambassadeurs. On demande juste de patienter un petit instant pour se mettre d’accord où on va nous loger, puisque nous avons apparemment des têtes gentilles. Fredo nous montre plus tard une petite chambre avec en annexe une salle de bains pour passer la nuit et nous invite à venir boire un petit coup tout-à-l’heure.
Comme tous les soirs à l’heure convenue, nous donnons un coup de fil à la maison et les prévisions de météo France qu’on nous annonce ne sont pas prometteuses. Bien au contraire puisqu’au froid va s’ajouter de la pluie dans les prochains jours. Au moment de prendre le repas, Daniel et moi décidons de nous arrêter ici et de reprendre le Camino à une autre période de l’année. Nous voilà arrivés à un moment de notre chemin où la raison doit l’emporter sur toute autre chose. Comme nous n’avons plus de contraintes au niveau des congés scolaires, nous nous donnons un temps ultime de réflexion et, dans un esprit de ne pas vouloir courir de risques inutiles en termes de santé, décidons ensemble d’arrêter pour le moment. Dans tout ce que nous nous dirons pendant le retour à domicile combiné avec le non-verbal et la lecture entre les prétendues lignes, je conclu qu’il nous faudra probablement quelques jours pour faire le deuil de cette décision, même si nous nous répétons que la décision est justifiée et la bonne. La météo de la semaine suivante a confirmé la « sagesse » de notre décision et, au moment de la rédaction de la présente, nous sommes en train de trouver une plage calendrier pour continuer la route cette année.
Après le repas, nous répondons à l’invitation de Fredo qui nous reçoit avec sa famille et quelques amis autour de la grande table de la cuisine du château. Fredo est suisse et ancien pilote et il rêvait toujours d’avoir un château. Un jour, lors d’un vol avec sa Cesna au-dessus de la campagne, il découvre le château de Champlémy qu’il achètera plus tard en association avec quelques amis, question de faire profiter ainsi un cercle restreint de ces bâtisses ancestrales et partager les frais d’acquisition, de fonctionnement et d’entretien. Lors de notre arrivée dans l’enceinte du château j’avais remarqué le vieux tracteur et les bûches qui s’y trouvaient ainsi que celles remisées sous un hangar. Comme je chauffe également partiellement au bois, je me suis dis à ce moment que le bois pourrait être un peu plus sec à la fin dont il destiné. C’est ainsi que je ne fus pas tout à fait étonné quand on nous a raconté que la veille avait été un peu plus spectaculaire au château avec l’appel aux  pompiers. La cheminée avait en effet pris feu après que les propriétaires avaient bien chauffé. C’est justement le souci qui nous préoccupait à Cunzy-les-Varzy dans le gite où nous avons également redouté que la gaine de la cheminée ne prenne feu à cause du dépôt de goudron, dans la mesure où la cheminée n’est pas toujours chauffée cela combiné avec l’utilisation de bois de chauffage non entièrement séché.
Après Pierre l’année passée, nous voilà donc de nouveau avec un Suisse et le pourcentage des étrangers en France qui nous accueillent pour la nuit augmente tout doucement. Autour d’une tasse de café pour moi et traditionnellement du thé pour Daniel, nous avons discuté de tout et rien sur les préjugés sur nos deux pays : devinez ce dont un Suisse et un Luxembourgeois discutent inévitablement à en juger une certaine presse – d’argent et de la durée de survie du secret bancaire. Avant de nous quitter, nous convenons que si jamais nous souhaitons repartir depuis Champlémy, nous pourrons déposer notre voiture et la bétaillère dans la cour du château pour la durée du périple. Merci d’avance, ceci d’autant plus que Champlémy est desservie par une ligne de bus à partir de Nervers ce qui facilitera la logistique de celui qui devra récupérer la voiture plus tard.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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