Ars sur Moselle - Onville - Camino

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Trajet > 2008
Ars-sur-Moselle vers Onville
Jour 1
Jeudi 1er mai 2008
21 kilomètres
 
 
 
Après avoir dit au revoir à ma famille, nous partons à 8.00 heures du matin vers Ars-sur-Moselle, qui se situe à quatre-vingts kilomètres de mon domicile. René, un copain à Daniel nous conduit et ramènera la bétaillère à domicile. Henry et Basile montent dans la bétaillère comme toujours : soit c’est Henry qui monte comme si de rien n’était et Basile joue un peu au clown, soit c’est l’inverse. Ce matin, c’est Henry qui montait en premier. Heureusement qu’il ignorait ce qui allait être sa charge pendant les dix jours à venir.
 
En route vers Ars-sur-Moselle, nous discutions pas mal mais à force de progresser sur la route je n’éprouvais pas la même sensation que lors d’une simple randonnée – premier signe de doute si la décision de partir était la bonne.
 
A la recherche d’un endroit pour se garer, nous trouvons un bon emplacement tout près de la Colonna romana à côté de l’aqueduc romain d’Ars-sur-Moselle.
 
Le chargement de Henry s’avérait un peu plus difficile que prévu, dans la mesure où j’avais pris les conseils de quelques amis trop à la lettre. Afin d’éviter que le poids du chargement ne serre trop les patins du bât contre les vertèbres de mon bourricot, j’avais demandé à mon épouse de me confectionner un coussin contenant deux plaques de mousses de trois centimètres d’épaisseur revêtues d’une couverture qui viendrait s’ajouter à la couverture d’usage. Cette deuxième couverture répondait exactement à ma commande. Comme je n’avais cependant jamais essayé de la poser sur le dos de Henry avec l’ensemble du chargement, j’allais payer comptant les frais de ce laisser-aller. La couverture de base et la couverture supplémentaire s’avéraient devenir un obstacle pour serrer les sous-ventrières jusqu’aux points d’ancrage normaux des courroies de liaison. L’erreur préprogrammée prenait son cours. Je n’arrivais pas à serrer convenablement les sous-ventrières de sorte que le chargement bien qu’équilibré des deux côtés penchait en fonction du virage qu’on prenait. Après les premiers cinq cents mètres, une sacoche était par terre.
 
Je range la suite dans la catégorie des décisions qui se prennent instinctivement sous un certain stress. Je déchargeais tout y compris le bât et faisais passer mon Opinel à travers les points de suture d’un côté de la couverture, pour enlever une couche de mousse ce qui réduisait l’épaisseur à trois centimètres. Par ailleurs je me défaisais d’une partie du chargement que je considérais comme superflu pour le faire rapatrier à la maison dans la bétaillère qui heureusement était encore sur place.
 
Le dicton dit qu’un bon âne ne se heurte qu’une seule fois à la même pierre. Comme, biologiquement parlant, je ne suis pas un âne, je vous laisse deviner la suite avec en plus la ruse de Henry. Au moment de remettre le bât, monsieur avait gonflé la panse comme une cornemuse de sorte que je n’arrivais toujours pas à tirer les courroies de liaison à leur point d’ancrage normal. Comme elles se trouvaient néanmoins au niveau d’un trou plus loin qu’auparavant, je m’en contentais et nous poursuivions notre route.
 
Plusieurs centaines de mètres plus loin, nous nous trouvions devant le résultat des pluies intenses des jours précédents – une flaque de glaise d’une longueur d’environ trois mètres sur toute la largeur du parcours. Alors que j’avançais au ralenti appuyé sur mon bâton de pèlerin pour éviter une chute, Henry freinait net pour examiner cette glaise transformée en un liquide dont il ne pouvait mesurer la profondeur. Au lieu de passer sur le petit reste du chemin non englouti par la glaise, il essayait de sauter d’un bout à l’autre. Résultat : le boudin par terre. Dieu soit loué : j’avais pris soin de prendre un boudin étanche. Basile, qui était à l’arrière et observait ce qui se passait à l’avant, refusait tout service à Daniel qui rebroussait chemin pour passer à travers le jardin d’un vieux monsieur, qui nous avait observé.
 
Dans la suite, il me fallait beaucoup de courage pour me convaincre à tirer les courroies de liaison jusqu’au point d’ancrage normal. J’avais en effet peur que je ne blesse mon âne en serrant trop. Après coup, je dois avouer qu’une charge de quarante kilos posée sur une couche de mousse de trois centimètre ne lui laisse guère une chance de rester à son stade initial. Une fois le réglage ajusté, les choses se passaient mieux.
 
Autant pour mon baptême du Camino.
 
Dans la suite, saint Jacques dans sa bonté a probablement voulu tester si nous étions vraiment des pèlerins en donnant un coup de fil à son confrère, parce que saint Pierre a ouvert ses écluses à trois reprises.  Comme nous avions pris nos précautions, c’était l’occasion de tester nos ponchos et parapluies.
 
Par mesure de précaution, nous avions décidé avant le départ de prendre les premiers jours le GR5 pour éviter de devoir consulter trop la carte. C’est ainsi que nous avons pu progresser plus ou moins facilement jusqu’à la Croix-Saint-Clément qui se trouve dans le Bois communal de Dornot. Une centaine de mètres plus loin, le GR5 nous réservait une nouvelle surprise sous forme d’un petit étang qui remplissait la totalité du chemin. Retour vers la Croix-Saint-Clément pour emprunter la D6b pour descendre sur Gorze. Comme notre équipement comptait des vestes fluorescentes, nous les avons endossées chaque fois que nous sommes passés sur une route. Bernard, que vous allez découvrir plus tard, nous dira : « Ah, c’est vous qui portiez ces vestes de cantonniers ».
 
C’est probablement la joie d’être enfin en route qui nous a carrément fait oublier de manger. Il est plus de quinze heures et bizarrement je ne ressens aucune faim. Près de la Croix-Saint-Clément, Daniel est attiré par l’odeur des saucisses qui sont offertes à la fête du 1er mai. Comme je ne suis pas trop pour les saucisses, j’en profite pour manger une banane et une pomme.
 
Gorze avec ses grandes réserves en eau est un petit village situé dans le Parc Naturel Régional de Lorraine. En son temps, les Romains captaient déjà l’eau à Gorze pour alimenter Divodurum Mediomatricorum ou autrement dit Metz.
 
Avant de partir, j’avais téléphoné à la mairie d’Onville pour me renseigner si une possibilité existait pour passer la nuit dans un gîte ou chez un particulier. Le maire m’avait indiqué l’adresse de monsieur Mathieu qui m’avait dit qu’il se ferait un plaisir de nous accueillir et que nous pourrions dresser notre tente dans son pré. Et d’ajouter : « Si vous n’arrivez pas le premier, vous êtes également le bienvenu le 2 mai ». Se doutait-il de nos problèmes de départ ?
 
Comme l’heure avançait, nous nous sommes concertés à l’entrée de Gorze s’il était opportun de continuer ou d’aller voir le fermier près de Sainte-Catherine, pour trouver un endroit où passer la nuit. On pourrait bien encore rajouter deux heures – c’est décidé : nous continuons.
 
A hauteur des premières maisons de Gorze, la prochaine douche de cinq minutes ne nous privait pas d’avancer. Comme il y avait une fête au village, l’interdiction de conduire dans certains endroits provoquait un bouchon, dans lequel nous nous faufilions avec nos ânes. Inutile de préciser que ceci ne faisait pas le plaisir de ceux qui essayaient de se coller au pare-boue de celui qui les devançait. Dans ces conditions, il n’était pas non plus possible d’aller jeter un coup d’œil à l’église Saint-Etienne qui semble-t-il est le plus ancien édifice gothique de Lorraine.
 
A la sortie de Gorze, nous longeons une petite rue et sommes surpris de découvrir une coquille Saint-Jacques en couleur sur la porte qui donne accès à la propriété. C’est un jeune couple qui y habite et, comme ils sont juste devant la porte, nous les interrogeons sur le pourquoi de la coquille. Buen Camino – voilà les premiers ex-pèlerins que nous allons rencontrer. Ce jeune couple vient de terminer le pèlerinage l’année passée. Ils l’ont fait en deux étapes : la première jusqu’aux Pyrénées – la deuxième jusqu’à Compostelle. En signe de reconnaissance, ils ont apposé la coquille sur l’entrée.
 
La montée dans la forêt du Graoully est fatigante, dans la mesure où nos bourricots refusent leurs services. « D’abord, c’est le 1er mai et la Fêtes du Travail, de deux ça monte de manière très abrupte, de trois nous portons quand même quarante kilos, de quatre nous sommes partis depuis plus de quatre heures et puis il ne faut pas oublier – d’usage à cette heure, nous avons déjà brouté depuis le matin alors qu’aujourd’hui l’estomac est encore vide. » Comme il a plu pas mal les semaines passées et que les températures ont été un peu clémentes, les jeunes pousses de hêtre sont des obstacles incontournables. C’est ainsi que nous mettons plus de trente minutes pour faire plus ou moins trois cents mètres de montée. Une fois arrivé au plateau, j’avais l’impression que les pousses de hêtres commençaient à se transformer en énergie pure. Henry et Basile mettent à l’œuvre une cadence fantastique et, en moins d’une heure, nous atteignons la sortie de la forêt et découvrons à hauteur de Bayonville-sur-Mad la réserve d’eau de la ville de Metz.
 
Avant d’aborder notre descente sur Bayonville, nous nous accordons une petite pause - le temps de manger une pomme et laisser brouter les ânes.
 
C’est également le premier moment pour réfléchir sur ce que nous sommes en train de faire.  Après les épreuves relativement chargées d’un point de vue équipement, temps et sensations fortes, je prends quelques moments pour vraiment savourer le paysage qui s’ouvre devant nous : d’un côté, le grand réservoir d’eau et, de l’autre, des champs à perte de vue colorés en jaune par le colza en pleine floraison. Et voilà – je n’arrive pas encore à décrocher. Je mets immédiatement le paysage plein de colza en relation avec l’actualité et le manque de surfaces pour planter des denrées alimentaires et la possible pénurie de nourriture dans un proche avenir, qui est due en partie par la surexploitation du colza à des fins d’ajout dans le fuel puisque rapportant plus.
 
Arrivé à Boyonville-sur-Mad, je suis un peu déçu par le village parce que je l’avais imaginé autrement. En plein centre, nous prenons à gauche et franchissons le Rupt de Mad, longeons le chemin de fer jusqu’à Onville et voyons au loin l’église Saint-Rémi. Après la gare, nous descendons une centaine de mètres, prenons à gauche pour passer sous le pont et tournons directement à droite pour aller rejoindre notre halte pour la nuit. Au moment où nous montons vers le maréchal-ferrant Mathieu, nous découvrons sur notre droite six rails de chemins de fer, qui servent à rassembler des trains de marchandises comme on nous l’expliquera plus tard. Saint Jacques, fais qu’aucun train ne passe au moment où nous longeons les rails.
 
Arrivé à destination à 20.15 heures, nous voyons au loin un monsieur d’un certain âge qui nous fait des signes de la main nous invitant à monter dans le pré – c’est le père Mathieu et je me reproche aujourd’hui d’avoir oublié de le prendre en photo.
 
Dès qu’il nous a montré le pré pour loger les ânes et la place pour dresser nos tentes, nous déchargeons les ânes. Nous nous mettons de suite à l’œuvre pour dresser la tente afin d’avoir fini avant que le jour ne nous prive de lumière.
 
Henry et Basile qui, durant la journée, n’avaient pas trop eu le temps de brouter font ce qui leur plaît le plus – manger. Mais, avant de s’y prendre sérieusement, ils prennent un bain d’âne et se roulent à volonté sur le dos dans le pré.
 
Une fois les tentes montées, nous escaladons la prairie pour rejoindre un abri pour casser la croûte. Un cierge offert nous procure un peu de lumière et nous savourons ce moment tranquille, en observant les ânes en train de brouter et d’explorer l’immense espace à leur disposition. Au menu ce soir, du riz avec un mélange d’accompagnement asiatique, un peu de pain, puis une tasse de café pour moi et du thé pour Daniel qui ne boit pas de café.
 
Le fils Mathieu qui nous avait rejointe entre-temps appose le premier tampon sur notre Credential.  A la vue de ce premier tampon, je ressens une certaine fierté d’être enfin arrivé sur le Camino. Après avoir échangé quelques mots, le fils Mathieu me demande si j’entretiens les sabots moi-même et, dans l’affirmative, il ne pourrait que me féliciter. Ils sont en bon état, il l’a vu de loin. Une telle louange d’un professionnel fait du bien et je remercie Nicolas pour le bon travail trimestriel au niveau de l’entretien des sabots. Ceci termine donc toute discussion au niveau de la question de savoir si on doit ferrer ou non les ânes qui partent en randonnée.
 
Après les difficultés de démarrage, je n’aurais jamais imaginé arriver en soirée à Onville. 
 
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